Archives de Catégorie: IUFM, ultime objet de mon ressentiment

L’IUFM, cet endroit porteur d’espoir pour les jeunes professeurs en attente du Graal éducatif. Qu’ils sont naïfs…

Faites sortir les accusés (par pitié !)

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Et on démarre une autre histoire

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Untiliser une citation ou énoncer des clichés établis est une excellente façon de commencer un post ou une dissertation. Je le faisais bien volontiers pendant mes années d’hypokhâgneuse-khâgneuse. Un minimum de subtilité s’impose : il faut choisir THE citation, qui fera mouche, dont la pertinence illuminera la lecture du reste de la copie et vous ouvrira les portes de l’Ecole Normale Supérieure.

Pour beaucoup, la rentrée équivaut à un nouveau départ.

(Ils ne m’ont pas prise à Normale Sup’. Ca vous étonne ? Moi non.)

On rachète des stylos 4 couleurs, des cahiers avec des dauphins ou des chatons trooop mignons dessus, l’agenda méga trop top sur lequel les copines écriront des mots, et on admire les crayons de couleurs bien taillés, tous à la même taille, qui attendent sagement dans la pochette plastique de démarrer de nouveaux projets artistiques. Le dessin de la ville idéale, utiliser la perspective comme il se doit, la bande dessinée….

(Ils n’ont pas voulu de moi non plus à l’Ecole du Louvre. Ca vous étonne ? Moi non.)

Pour certain(e)s élèves, le jour de la rentrée est le jour le plus important de la fin de l’été et du début de l’année scolaire.

(J’ai AUSSI fait une croix sur l’Académie Française, allez savoir pourquoi …)

L’apparence physique a une importance CAPITALE : du legging léopard aux bracelets fluos (3e), du pull avec une tête de chien dessus aux soquettes violettes qui vont SUPER bien avec les ballerines bleues (6e), aucun détail ne doit être laissé au hasard.

Chez les profs aussi, ceci dit.

« Qu’est-ce que je vais bien pouvoir mettre pour faire prof stricte mais hyper moderne, mince, et qui a un sens de la mode indétrônable ? « 

Exit le legging léopard, donc.

Le prof qui fait sa rentrée dans un nouveau collège est un peu comme le petit 6ème nain-de-jardinesque. Gardons à l’esprit que l’heureux fonctionnaire de l’Educ Nat’, LUI, n’a pas sa super pote de l’école primaire Océane pour lui tenir la main. Et ça, c’est moche.

Il doit se débrouiller  tout seul pour trouver ses salles, savoir quoi mettre sur son plateau à la cantine, et tenter de se sociabiliser à la table collective, ignorant la peur qui lui tenaille le ventre.

Il doit faire semblant de parfaitement gérer la situation face à une classe entière quand il n’arrive pas à démarrer le vidéo projecteur ou que le powerpoint n’est pas compatible avec l’ordinateur de la salle.

Il doit être sûr de lui quand les 6èmes, passionnés par l’apprentissage d’une nouvelle langue, lui demandent 15 000 mots à la minute.

Il ne doit SOUS AUCUN PRETEXTE s’émerveiller ouvertement devant une classe de 3ème qui trouve ça « cool » de commencer à travailler dès la première heure.

WTF ?  comme on dirait dans certains milieux.

« Mais c’est trop marrant, la feuille que vous nous avez distribué, ça fait comme une BD et on va réviser ! »

(Je me permettrai de mettre en parallèle les commentaires de mes collègues à la cantine, histoire de rajouter une touche de pertinence à mon propos. Ce qui, j’en conviens parfaitement, est loin d’être du luxe.)

D’un coup toutes mes certitudes sur la nécessité d’épargner rapidement pour pouvoir envoyer ma progéniture dans un pensionnat anglais dès l’âge de 10 ans pour éviter de me coltiner leur crise d’ado et les envoyer directement à l’université à leur sortie se sont effondrées. Les ados peuvent être …. agréables ?

« Aymeric, tu avais une question ? »

« Je suis désolé de vous interrompre, madame, mais je voulais juste rendre son stylo à Jessica, en fait. Excusez moi… »

Les bras m’en tombent.  Débrief cantinal :

« Ouaaaaa comment t’as de la chance !! On t’a filé les 3eD !!! Ils sont trop bien ces gamins ! »

« Non mais ils sont pas réels ? »

« Heuu…c’est à dire ? »

« Mais ils font ce que je leur demande ! Ils aiment l’anglais ! Ils ne discutent pas ! Ils rigolent à mes blagues !!  Ils sont faux-jetons ? »

« Non et ça va être toute l’année comme ça. T’es vernie, toi ! »

Le deuxième cours se passe de la même façon. Et à la fin de l’heure, ils me bombardent de questions sur la famille royale, avant de quitter ma salle de classe avec un « Goodbye, Miss ! See you tomorrow ! »

C’est ce moment précis que je choisirai pour exploiter pleinement le concept d’ascenseur émotionnel. Quand les SEGPAs ont franchi la porte en hurlant, balançant les chaises par terre et en se donnant des claques. Le regard spécial « Miss T. n’est pas très contente » n’a aucun effet sur eux, vu qu’ils ne me regardent pas.

« Ca va pas ???? »

Ah si, quand même. Interloqués par le hurlement que je viens de pousser et qui a fait vibrer les fenêtres (et au passage, m’a explosé les cordes vocales), les segpas s’interrompent dans leurs activités extra-scolaires.

« Vous vous croyez où, là ? Vous sortez et vous ne rentrez que quand je le dis ! »

« C’est bon, fait chier, là, moi je ressors pas. »

C’est moi la chef. Ce qui me force à contrôler la situation, mais ne m’autorise malheureusement pas à exploser Brian, qui est à l’origine de cette affirmation, contre le mur.

« Tu sors tout de suite si tu ne veux pas finir dans le bureau du principal. Et je l’ai croisé, il n’est pas de bonne humeur, aujourd’hui. »

Brian sort en traînant des pieds, bousculant et renversant au passage la poubelle. Bieeeeen, bien.

« Come on in ! »

« Qu’est-ce qu’elle dit ? »

« de rentrer, je crois. »

« Ouah l’autre genre c’est un intello ! »

« Ta gueule, toi ! Elle fait le geste avec le bras de rentrer ! »

« Ensuite on dit quoi, quand on entre ? »

« Bonjour ? » (le suspense est insoutenable. Tout comme l’odeur de crasse.)

« Oui, et on est l’après-midi, donc vous allez dire…. ? »

« Aaaaah ! Je sais ! Good afternouille ! »

De la nouille, de la vraie… quand je pense que j’avais décidé d’y aller mollo sur les féculents… me voilà servie !

Tout le monde s’installe à une place, excepté Brian, qui mange tous les papiers qu’il a renversé un par un jusqu’à ce qu’il vomisse ses tripes et c’est bien fait pour sa gueule, si vous me demandez mon avis, et oui je suis vulgaire, qui ramasse les papiers par terre en ronchonnant, sous les quolibets de ses camarades.

Comme à mon habitude, j’attends le silence pour autoriser les élèves à s’asseoir.

Sauf qu’au bout de 10 minutes, ça fait long.

D’un coup les sourires narquois de mes collègues devant ma naïveté de débutante font sens :

« Je suis embêtée : je n’ai jamais eu de segpa avant, je ne connais rien du programme. »

Dominique s’étrange avec sa tomate mozza :

« Les segpas ? Un programme ? Mais heu…tu crois que tu vas réussir à les faire bosser pendant l’année ? »

Effectivement. Au bout de 11 minutes, ils ne sont toujours pas assis, et se traitent de PDs. J’ai tenté de leur expliquer qu’on disait homosexuel, avant de renoncer à une conversation d’une quelconque pertinence et de me précipiter vers Lucas, qui s’est pris en plein avant-bras l’équerre balancée par Jessica. Et le bout pointu, forcément. Lucas pisse le sang. J’ai très envie de taper quelqu’un, ou de téléphoner à Dad Gyver en le suppliant de venir me chercher.

Après avoir expédié Lucas à l’infirmerie, je tente un pendu sur les jours de la semaine. Anthony semble passionné par l’orthographe des mots anglais, ce qui me fait croire que la pédagogie de l’enseignement est possible en segpa. D’autant qu’il n’hésite pas à reprendre les autres lorsqu’ils font du bruit, ce que Brian contredit avec emphase :

« Putain mais arrête de la ramener, sale bâtard, là ! Genre tu te la pètes que l’anglais ça t’intéresse, mais tu mates le cul de la prof depuis tout à l’heure ! »

« Ta gueule ! Enculé, va ! »

« Tu crois qu’on a pas vu que tu faisais exprès de lui demander d’écrire les mots pour que tu regarde son cul ? »

J’en suis à un stade où je ne vois pas vraiment sur quoi reprendre les segpas : le vocabulaire, les us et coutumes dans la salle de classe, le fait qu’on lève le doigt avant de prendre la parole ? Et question plus importante, que me préconisait l’IUFM en cas de « regard insistant sur le postérieur » avéré ? Pourquoi ça ne me revient pas en tête ?

Ah, je sais pourquoi. Parce qu’on en a jamais parlé.

« Ben s’il mate le cul de la prof, c’est qu’il est pas PD. » Jessica ajoute sa touche personnelle à la conversation.

« Me traite pas de PD, sale pute ! »

1 heure à insister pour qu’ils restent assis sur leur chaises, ne parlent pas sans demander la parole, ne viennent pas à mon bureau sans que je les autorise, tentent de copier quelque chose sur une feuille parce qu’ils n’ont pas de cahier, et pour que Méline vienne timidement à mon bureau me dire :

« Moi j’ai trouvé que c’était bien votre cours. Les garçons, ils foutent le bordel parce que vous êtes une femme. »

Je sens que cette année va être intéressante.

Mon verdict a été confirmé quand Brian a répondu à mon Goodbye avec un magnifique doigt d’honneur, et quand je l’ai « coursé » dans les couloirs pour le ramener dans le bureau du principal, résistant à l’envie de lui sectionner le majeur avec mes ciseaux personnels.

C’est dommage, j’aurais pu le pendre comme trophée à la porte de ma salle de classe.

Au passage, un petit message personnel à « l’amoureux » que j’aurais suivi jusqu’en Picardie : je te quitte. Quoi que j’aie pu te trouver, tout a été annihilé par la betterave et le maroilles.

Je peux rentrer dans mon académie d’origine, maintenant ?

(Gérard Blanc, si tu lis ce post…je pense moi aussi bientôt péter ma tirelire….)

This world is a stage (hopefully)

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Si je suis au beau milieu d’une caméra cachée organisée par l’ensemble de mes connaissances, je pense qu’il est temps qu’elle s’arrête.

Ou alors je suis l’incarnation de Pierre Richard dans « La Chèvre », ce qui est encore plus probable.

J’ai déménagé le 25 août, et depuis, j’ai le cafard. Chose qui ne m’est JAMAIS arrivé, même lorsque j’habitais en Angleterre, bossais la journée dans une école, et habitais et m’occupais d’une boarding-house d’ados tous les soirs.

Le déménagement m’a donné le ton : après une courte nuit de sommeil ponctuée par des cauchemars plus ou moins invraisemblables, je suis arrivée à 14h devant mon futur appartement, et j’ai fait le pied de grue avec Queen Mum en attendant l’agent immobilier.

A 14h20, il n’était toujours pas là, et je redoutais qu’un de mes cauchemars devienne réalité : que je me sois plantée de jour. Après un coup de fil, c’était en fait lui qui s’était planté d’horaire et qui, après s’être confondu en excuse, est arrivé 20 minutes plus tard.

Sur mon emploi du temps personnel, j’avais prévu : 14h- 15h état des lieux, 15H30, arrivée du camion avec à son bord Dad Gyver, Super-frangin, et mes meubles.

J’étais très contente de montrer mon nouvel appart à Queen Mum, d’autant que des travaux devaient y être faits juste avant mon arrivée.

Vous le voyez venir gros comme une maison ? C’est facile, quand on lit le post après, bande de fourbes !

Bien entendu, les travaux n’avaient pas été faits, ou faits n’importe comment : les murs du salon étaient bruts, plein de taches dégueu, et la salle de bain… avait été couverte de PVC qui ne tenait plus et dont les joints étaient en mode « fugue mineur ». Le miroir et le néon n’étaient pas du tout au même endroit.

En me voyant changer de couleur, l’agent immobilier a compris qu’il était dans la merde. Moi aussi, remarque.

« On a un problème, là. »

« Ah heu… oui effectivement. »

« Il va falloir que les travaux se fassent. Rapidement. »

« Heu… Je vais appeler un artisan pour que ça se fasse. »

15 minutes plus tard, Dad Gyver et Super-frangin débarquent, et les bricoleurs-nés qu’ils sont se retiennent de ne pas rigoler en voyant les finitions de la salle de bain.  Ils ont déjà dégondé la porte d’entrée qui les gêne pour monter les meubles, et en 10 minutes ils ont déjà vidé le camion.

En me voyant tourner de l’oeil devant la montagne de cartons et de meubles à monter, Queen Mum m’envoie trouver une pharmacie pour acheter le tube de crème qu’il lui faut « absolument » et qu’on ne trouve « qu’en pharmacie ».  A mon retour un quart d’heure plus tard, tous les meubles sont montés, et la moitié des cartons sont vidés et pliés.

Des déménageurs ne feraient pas mieux.

L’artisan qui est venu le lundi matin m’a donné le choix entre 2 papiers-peints pour le salon ; vert pistache ou jaune-beige-pissou. Comme j’ai souvent tendance à avoir la nausée le matin, je me suis dit qu’il valait mieux choisir le jaune-beige-pissou.

J’ai passé une semaine dans la poussière, la colle, les bruits de visseuse, de perceuse, de marteau… ce qui m’a fourni un excellent prétexte pour 1. ne pas en glander une sur le plan professionnel 2. Visiter mon nouvel environnement

C’est à la rentrée que les choses se sont gâtées. Ou plutôt, quand j’ai découvert ma salle. J’étais absolument ravie d’avoir ma propre salle et de ne pas avoir à déménager. C’est un véritable privilège qui permet de faire sa déco, laisser des affaires, et c’est loin d’être un acquis dans mon corps de métier.

Quand j’ai rencontré les femmes de ménage et leur ai dit dans quelle salle j’étais, elles m’ont regardé d’un air ébahi : « Sérieusement ? Mais heu… tu as vu à quoi elle ressemblait ? »

C’est pas bon, ça.

« C’est-à-dire que… c’est la salle la plus petite et moins bien équipée de tout le collège. Les gens se battent pour ne pas l’avoir. En plus tu nous as dit que tu étais prof principale de la 5e3, non ? C’est pas la classe où ils sont 30 ? »

J’ai la classe la plus chargée et la salle la plus petite. On va dire que c’est du bizutage de néo-tit’. Ne pas penser aux salles spacieuses et lumineuses de l’année dernière.

En visitant la salle, j’ai constaté qu’effectivement elle était minuscule, avec un tableau noir, pas de vidéo-projecteur, pas de rétro-projecteur, pas de lecteur cassette ou CD. Je suis zen. J’amènerai mon ordi et des enceintes, ça va le faire.

Au repas de midi et en salle des profs, 3 personnes m’ont adressé la parole, dont ma collègue d’anglais, la secrétaire du collège pour me brieffer sur mon boulot de prof principale, et la gestionnaire pour régler la cantine.

Je me suis dit que j’avais été gâtée avec mon établissement l’année dernière, où en 30 minutes on m’avait accueillie, trouvé un surnom, expliqué le fonctionnement du collège, donné des astuces pour m’en sortir et fait raconter mon parcours universitaire. Pas de Papa Thierry ou de Maman Ze Big Boss dans les environs.  Je suis une grande néo tit’, je n’ai plus besoin de ça.

J’avais quand même la même impression qu’une petite 6ème perdue dans la cour de récré le jour de la rentrée. Avec la trouille qui tord les boyaux, et le reste.

Alors que je vérifiais la liste de la classe dont j’étais prof principale, ma collègue de maths y a jeté un coup d’oeil et m’a dit : « Punaise ! T’as récupéré un max d’ULIS, toi ! Tu feras gaffe à Bastien, il arrive pas à écrire son prénom correctement. Ah oui et Jean-Kevin a un niveau de maternelle. »

Ne pas penser à Bruno qui doit déjà être en train de raconter ses vacances avec force de mimes, Sophie qui doit servir des verres de vin à la ronde pendant que Ze Big Boss entame son discours de rentrée et que Thierry fait passer les chips. J’entends presque Nadine chanter un des tubes de l’été.

Je n’ai rien dit non plus en voyant mon emploi du temps plein de trous. 

Ni quand j’ai apporté mon tuperware en salle des profs pour manger jeudi midi, comme je le faisais l’année dernière, avec une dizaine d’autres profs et que c’était ZE moment pour papoter et se raconter des potins. Je n’ai rien dit parce que personne ne m’adressait la parole et que visiblement j’étais exclue des potins qui visaient à en balancer le plus possible sur un collègue « dont le nom commence par Dur » et que je n’étais visiblement pas capable de décoder le langage codé « Non mais tu te souviens du dossier dont je t’avais parlé par rapport au truc, là ? Ben il a rajouté une colonne pour mettre son machin, comme si c’était lui le chef ! ». Malgré mes regards et sourires pour tenter de montrer que j’étais là.

Je suis d’une naïveté déconcertante, d’avoir pu penser qu’on allait m’intégrer tout de suite sans même me connaître.

Pour me rattraper de mon ignorance sur le dossier « Dur », j’ai tenté un timide :

« Et vous, vous êtes profs de quoi ? Je suis désolée, je n’ai pas retenu tout à la réunion de lundi, ahaha ! Moi c’est Tamara, en anglais. »

« Elise, en français, et elle c’est Brigitte pour les maths. Du coup je suis allé le voir pour lui dire qu’il poussait un peu, et tu sais ce qu’il m’a répondu ? »

« Laisse-moi deviner : « Je savais pas, désolé » ? »

« EXACTEMENT ! Il se fout vraiment de ma gueule ! »

« Et du coup, vous êtes dans la région depuis longtemps ? Parce que moi je viens d’arriver. »

« Ouais ça fait 10 ans. Non mais ça va se régler à coup de poing, s’il le faut, hein ! Il va pas me faire le même coup que l’année dernière, faut pas déconner ! »

« T’as raison ! Tu te souviens comme je l’avais rembarré en salle des profs en mai dernier ? »

« Et vous savez où je pourrais me procurer un vidéo projecteur ? Il paraît qu’il y en a des portables dans l’établissement, et je n’en ai pas dans ma salle. »

« Oh ben si tu cherches, t’en trouveras un. Non mais ce qui m’énerve, c’est qu’il n’en parle à personne, tu vois ! Comme s’il avait le droit de faire tout ce qu’il voulait ! »

Texto de Ze Big Boss : « On pense bien à vous en salle des profs, comment ça va de votre côté ? » « Impec, même si tout le monde me manque beaucoup. Donnez le bonjour à tous. » Connaissant son côté mère-poule, mieux vaut éviter de rentrer dans les détails.

Première fois de ma vie que j’ai le cafard.

Qu’est-ce que je fous là ?

Je n’ai rien dit non plus quand une de mes élèves de 4e m’a dit qu’elle ne pourrait pas toujours faire ses devoirs, parce que son bébé de 6 mois ne faisait toujours pas ses nuits.

Je n’ai rien dit le lendemain midi à la cantine, quand mon collègue de Sciences-Physique s’est étouffé en apprenant en quelle salle j’étais, et a fait le tour de la salle à manger des profs pour le dire aux autres : « Nan mais cette salle devrait être un placard, au bas mot ! T’as vraiment pas de chance, toi alors ! »

Je n’ai rien dit quand je me suis rendu compte que certains parents n’arrivaient pas à remplir certains papiers administratifs et qu’il fallait surligner systématiquement les pièces à joindre, ou que je devrais remplir des dossiers de bourse pour les 3/4 de la classe.

Je n’ai rien dit quand je suis passée chez Sephora avant de rentrer chez moi, et que la vendeuse m’a tendu 2 échantillons de crème anti-rides. Connasse.

Je n’ai rien dit quand je suis rentrée dans mon appartement le vendredi soir et qu’il me restait des cartons à déballer et de la poussière à nettoyer, et que je me suis dit que je n’allais pas pouvoir passer le week-end avec mes amis, qui étaient tous à 6 heures de route au bas-mot.

Je n’ai pas laissé échapper un son quand Barnabé, un de mes nains de jardin préférés, s’est retrouvé par terre en mille morceaux à cause d’un courant d’air.

Ce n’est qu’en m’asseyant sur mon canapé et en ouvrant mon courrier que j’ai vu la carte envoyée par Ze Big Boss et signée par tout le collège, avec des petits mots gentils que j’ai craqué pendant une bonne heure et demie.

J’ai compris que je me prenais en pleine face les difficultés du métier et d’un poste de débutante, et qu’il était temps que je me confronte à la vraie vie et que je quitte le cocon de l’année dernière. Rome ne s’est pas construite en un jour, je ne vais pas me trouver un tas d’amis en une semaine.

Puis je me suis mise au boulot et ai relu les fiches remplies par mes élèves sur leur situation personnelle. Et là, j’ai esquissé un vague sourire.

 

 

Une inspection aux allures de Jugement Dernier, part 2.

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3 semaines plus tard, Ze Big Boss a arrangé le retour du dragon de l’inspectrice, en trouvant la seule classe dont le seul conseil ne serait pas passé à la mi-juin. En plein après-midi. Les conditions idéales.

Mes collègues ont prévu des phrases-choc au cas où ils la croisent en salle des profs.

« On se fait une réunion demain entre midi et deux pour voir où on en est du projet bi-disciplinaire ? »

« Merci pour les documents que tu as mis dans mon casier, ça m’a bien aidé pour ma séquence ! »

etc, etc

Sophie, après avoir confisqué à Mike un patron d’un goût assez particulier, a confectionné un cercueil en papier à déposer sur le pare-brise de notre visiteuse au cas où je me fais – une fois de plus – traiter d’incompétente notoire.

RIP l’inspection académique

Le jour J, cela fait une semaine que je ne dors presque plus et que je suis complètement malade de stress. 5 jours après la première inspection, j’ai récolté un arrêt de travail de 4 jours après avoir perdu ma voix, et écopé d’un mélange d’otite-laryngite.

« Je ne sais pas ce que votre système immunitaire est en train de vous faire payer, mais si vous voulez retrouver votre voix en moins d’une semaine, il va falloir vous reposer. » dixit mon médecin

J’ai passé des heures à préparer une séquence formatée comme il le faut, et prévu de les faire répéter, répéter et répéter.

Les élèves ont été brieffés de tous les bouts : Thierry, Ze Big Boss, mes collègues, les surveillants… Ils arrivent et se rangent par 2 devant la salle en me faisant des sourires furtifs.

« Vous allez voir Madame, on va être calmes et on a prévu de participer tout le temps. »

L’inspection n’a pas commencé, et j’ai déjà envie de pleurer.

Ze Big Boss escorte l’inspectrice jusque à ma salle, profite du calme apparent des élèves pour faire semblant de découvrir les derniers travaux que j’ai fait ce trimestre et qui sont affichés dans ma salle, les maquettes, puis nous lance en me faisant un clin d’oeil. Son côté mère-poule a pris le dessus, je sens qu’elle va être aussi stressée que moi pour l’heure à venir.

Tout s’est passé comme sur des roulettes.

Je les ai fait répéter, encore et toujours, le nouveau vocabulaire : « girls only ! » « boys only » « that row ». Et ils ont joué le jeux.

J’ai rapidement repris les quelques bavards, qui se sont calmés instantanément.

Ils ont fait des petites blagues en anglais.

Ils ont TOUS salués l’inspectrice quand elle est arrivée, et lui ont TOUS dit au revoir en repartant, avant de passer vers moi et de me faire un clin d’oeil ou de me souffler : « on a été bien, hein ? « .

En refermant la porte avant de prendre place pour la guillotine , j’ai croisé les doigts pour que le miracle se poursuive et qu’enfin on me foute la paix.

Le large sourire affiché par l’inspectrice ne m’a pas fait réagir.

« Alors, Madame T., qu’est-ce que vous pensez de cette séance ? »

« Ca s’est plutôt bien passé, ils ont bien écouté et étaient réceptifs. »

« Et par rapport à la dernière fois où je suis venue? »

C’est quoi le délire, là ? Elle s’attend à ce que je rampe par terre en disant que j’ai péché, que je ne le referai plus jamais ?

« C’était un début de séquence, ça n’a rien à voir avec la séance de la dernière fois, ce n’était pas les mêmes objectifs. »

« Oui mais ils ont bien répété, c’était très bien au niveau de la fixation. »

« Oui. »

Re-grand sourire. Re-visage impassible de mon côté.

« Je suis extrêmement satisfaite de cette séance. J’ai vu des élèves motivés, qui ont tous participé, ils étaient calmes. Je suis vraiment contente, vous avez prouvé que vous étiez capable d’entendre les critiques et de rectifier le tir. »

J’ai droit à un morceau de sucre si je tire la langue en bavant ?

« Vous partez toujours dans l’académie d’Amiens l’année prochaine ? »

« Oui, oui. »

« C’est parfait ! Vous avez une carrière prometteuse devant vous. Cette séance était vraiment bien construite et bien menée. »

Et chiante à mourir. Re-sourire. Re-visage impassible.

« Bon et bien, je crois que vous avez une réunion dans peu de temps, je ne vais pas rester plus longtemps et aller voir votre principale. »

1 heure de remontrances contre un quart d’heure de louange. Wow.

« Merci. »

Au point où on en est, je m’attends à une caresse sur la tête. Mais non. Elle file dans le bureau de Ze Big Boss pendant que je m’installe avec mon portable en salle des profs pour appeler mon tuteur et envoyer une cinquantaine de textos à mon entourage, qui me porte à bout de bras depuis 3 semaines.

Thierry passe la tête par la porte :

« Alors ? »

« C’est bon, elle était très contente. »

Il entre.

« Oh punaise, le soulagement ! Viens voir par ici, que je te fasse la bise ! »

Il m’entraîne vers son bureau :

« Ca fait 3 semaines que je me pose des questions, moi ! J’ai quand même des années d’expérience, je t’ai toujours vu comme quelqu’un fait pour ce métier,  je pense que tu es même encore mieux armée que certains de tes collègues plus expérimentés.  Je te dis pas le coup de massue que ça m’a fait quand on m’a dit que ta dernière inspection s’était mal passée. Je me suis dit que je n’étais plus capable d’évaluer quoi que ce soit correctement. Enfin, sur le coup, on était tous d’accord pour dire que c’était injuste, ce qui t’es arrivée. Je suis vraiment content ! »

J’implore silencieusement mon système lacrymal de se mettre en grève.

Ze Big Boss passe la tête par la porte :

« Je ne sais pas ce que vous lui avez fait, mais elle est ra-vie ! »

Ah oui c’est vrai, je peux sourire maintenant.

« Elle a dit et répété à quel point vous étiez créative et faite pour le métier, que vous alliez faire des étincelles. C’était le jour et la nuit. Je lui ai bien dit que j’avais l’intention de rester en contact avec vous pour suivre votre carrière, parce qu’elle n’est pas la seule à penser qu’elle est prometteuse ! »

Allons bon.

« Merci de m’avoir aidé à remonter la pente, je pense que sans vous et toute l’équipe éducative, je n’aurais jamais réussi. »

« Mais vous avez toutes les compétences pour être prof, et elle a fait une erreur de jugement, on allait pas laisser passer ça ! »

Je ne vais pas réussir à quitter cet établissement.

Même si Bruno a passé la récré à venir me hurler dans les oreilles pendant que je téléphonais.

Encore moins quand je suis arrivée dans le bureau de la vie scolaire et qu’ils m’attendaient tous en m’applaudissant et en criant.

D’autant plus quand j’ai vu marqué au tableau de la salle des profs : « BRAVO TAMARA, FUTURE INSPECTRICE ! »

Une inspection aux allures de Jugement Dernier, part 1

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Bienheureux collègues de l’Education Nationale qui passez par ici, vous connaissez bien le principe de l’inspection : juger un prof sur une seule heure de cours, ce qui peut se prouver parfois arbitraire. Avec le stress, on peut enchaîner les conneries sous le regard désapprobateur de l’inspecteur ou de l’inspectrice, les gamins peuvent être dissipés, le cours pas assez bien préparé…. On peut ressortir de l’entretien complètement lessivée, dégoûtée, avec l’impression d’être le dernier des derniers.

Vous voyez où je veux en venir, non ?

Les stagiaires sont inspectés pendant le 3ème trimestre, inspection qui compte pour la titularisation. Un peu comme pour la visite formative, c’est le genre d’évènement qui te stresse un mois avant et les jours suivants tant que le rapport n’est pas lu.

Les jours précédents mon inspection, j’ai reçu un soutien complet de la part de toute l’équipe éducative et de mon entourage. Je ne me repose jamais sur mes lauriers, estimant que ce n’est pas parce qu’on me trouve sympathique que je suis capable de faire un bon cours. J’ai fait au maximum pour suivre les conseils de mon tuteur qui a précisé dans ses derniers rapports que j’avais ce qu’il fallait pour être enseignante.

Je ne suis toujours pas rodée sur la façon de construire une séquence et des tâches finales abouties, et des évaluations plus régulières, parce qu’on ne m’a jamais appris ça à l’IUFM en cours d’année, et qu’il faut du temps pour voir ce qui marche et ce qui ne marche pas.

Mais je me suis dit que je n’étais pas une novice complète et que les quelques conseils qu’on pourrait m’apporter lors de cette inspection me permettraient de palier ces quelques problèmes.

Ahaha.

Commençons par la touche humoristique de l’arrivée de l’inspectrice en salle des profs. 9 bouteilles de cidre et de champagnes agrémentaient le coin poubelle, vestiges de la célébration du CAPES interne de l’un d’entre nous. Coup d’oeil de l’inspectrice, réaction de Ze Big Boss :

« Oui, nous avons arrosé le CAPES d’un collègue le week-end dernier. Mais ne vous inquiétez pas, tout le monde est parfaitement sobre aujourd’hui ! »

Voilà, voilà….

Au même moment, Sophie se précipite vers le tableau blanc, effaçant le sondage initié par Bruno : Qui est Célibataire ? Inscrivez-vous sous oui ou non. Précisons au passage que je m’étais inscrite dans la colonne « S’en fout ».

Le ton était donné.

Pour mon inspection j’avais prévu : un powerpoint, une vidéo d’une amie britannique que j’avais « interviewé » et un jeu de cartes.

Mes petits 5e avaient été brieffés et menacés de tous les côtés, et se sont tenus sagement pendant toute l’heure. Bless them.

C’est en voyant les sourcils froncés de l’inspectrice en permanence que j’ai compris que quelque chose clochait. Quand mon powerpoint a merdé. Quand les gamins n’ont pas très bien compris un des exercices. Et qu’elle a fait le tour des rangées pendant le jeu auquel s’adonnaient avec enthousiasme mes chers petits.

Je passerai sur les détails, certains épisodes sont mieux au placard, avec 2 dictionnaires dessus et enfermés à double-tour.

Les 5e sont sortis dans le calme, me jetant des clins d’oeil et me chuchotant :  » On a été sages, hein madame ? ». Bless them (oui, je sais, je l’ai déjà dit)

En m’installant face à ma tortionnaire l’inspectrice pour l’entretien, j’ai ressenti une impression de déjà-vu. Les colles en hypokhâgne et khâgne, qui, lorsqu’elles ne se passent pas bien, se concluent par des expressions du genre : « Mais vous êtes sûres que vous savez lire ? » « Vous n’avez rien compris au sujet, donc. » « Vous avez eu le bac ? ».

« Alors, Madame T., que pensez-vous de votre prestation ? »

« Je pense que j’ai vu trop grand : les élèves étaient noyés et ils n’ont pas bien compris ce que j’ai essayé de leur expliquer. Mes consignes n’étaient pas assez claires. »

« Au moins vous êtes lucide, c’est toujours ça. Autre chose ? »

Ben, c’est-à-dire que je n’ai pas amené mon sabre pour me faire hara kiri, donc oui.

« Vous pensez que vos élèves ont retenu la moindre chose de votre cours ? »

« Heu… 2 ou 3 choses, oui ? »

« Et vous croyez qu’on peut leur enseigner quoi que ce soit sans jamais leur faire répéter ? Vous vous contentez de leur faire répéter 2 ou 3 fois, c’est insuffisant ! »

J’étais partie pour une heure de remontrances, ponctuées de démonstrations en direct-live de comment faire répéter nos chères têtes blondes. Ce que j’aurais dû apprendre à l’IUFM, en fait. Au lieu de m’emmerder royalement avec des conneries du genre « comment aborder la sexualité avec les jeunes qu’en fait c’est un atelier tout pourri où tu n’apprendras rien du tout ». Ouuuh, attention à la vulgarité, Tamara.

« Enfin, vous avez quelques bonnes idées, c’est bien. »

Elle parle de mes 3 projets bi-disciplinaires, de toutes les productions d’élèves sur mes murs, du blog à leur intention ? Non, juste du jeu de carte.

J’ai joué les élèves modèles en prenant des notes et sans m’offusquer de me faire traiter à mi-mot de débile profonde. Et sans mon tuteur pour me soutenir un minimum, car il ne pouvait pas être là le jour J.

Maîtrise de soi, dignité, total contrôle, blablabla.

J’ai profité que Folcoche  l’inspectrice se dirige d’un pas décidé vers le bureau de Ze Big Boss, me signifiant la fin de notre délicieux tête-à-tête pour me précipiter en salle des profs pour la pause de midi.

La plupart de l’équipe était là, en train de déballer son casse-croûte. C’est Sophie qui a ouvert le bal :

« Alors ? »

« Bof. »

« Tu déconnes, là ? »

« Nan. Je me suis faite laminer. »

2 secondes de silence à scruter ma tête, le temps de vérifier que je ne suis pas en train de déconner. Le temps que je me rende compte que mes jambes tremblent dangereusement, mes lèvres aussi, et qu’il faudrait vraiment que je m’asseye.

« Non mais quand tu dis « Bof », c’est juste que c’est pas allé aussi bien que tu le voulais. Pis en inspection on a toujours l’impression que ça s’est super mal passé, on fait tous des grosses conneries qu’on fait jamais d’habitude, et en fait, le rapport est pas dégueu. »

« Pis tu m’excuses, hein, mais si y’en a bien une pour laquelle on a aucun doute, c’est toi ! »

« On verra, oui. »

« Je sors le champ’ ? »

« Franchement, pas sûre que ce soit bien l’occas’ « 

« On s’en fout, en fait c’est de la clairette. »

Et chacun d’y aller de son histoire d’inspection mal passée-mais-en-fait-le-rapport-était-bon-donc-pour-toi-on-est-pas-inquiets.

Ca fait 3 quarts d’heure que Ze Big Boss s’entretient avec l’inspectrice.

Elle finit par entrer, au moment où je prépare le café pour tout le monde. Mes collègues sont absorbés par Bruno, qui parle de ses dernières vacances dans le Sud et comment il s’est fait arnaquer par un vendeur sur un marché.

A voir sa tête, je suis dans la merde.

« Je ne comprends pas ce qu’il s’est passé. Elle a dit qu’elle avait des doutes sur votre titularisation, qu’il y avait beaucoup de choses à reprendre. S’il y a bien une stagiaire pour laquelle je n’ai aucun doute, c’est vous (bis repetita)! Les élèves ont été pénibles ? »

« Non, non. Mon cours était pas super, c’est tout. » 

« Mais pas à ce point là ! C’est pas possible ! Enfin, j’ai bien insisté sur toutes vos qualités, j’en ai rajouté une couche, mais c’est une coriace ! Enfin, ne vous inquiétez pas trop et attendez le rapport. Elle a beau dire qu’elle a des doutes, ça m’étonnerait qu’elle nous ponde un rapport merdique. Je file, j’ai rendez-vous avec les parents de Dylan. »

J’esquisse un sourire de remerciement.

Elle a des doutes.

Une nouvelle année comme stagiaire, à me recoltiner des formations lamentables à l’IUFM.

Les petites phrases assassines de l’entretien me reviennent en boucle.

Des mois que je prépare cette inspection, que je flippe, et que je me dis qu’après cette date fatidique je serai tranquille.

Et merde. Je commence à avoir la vue qui se brouille, et pas de mouchoir en vue. Plus que 20 minutes avant le prochain cours, si je craque un bon coup maintenant, j’aurai le temps de dissimuler les traces et de garder la tête haute.

Je fonce aux toilettes, pendant que mes collègues sont morts de rire en écoutant l’imitation de l’accent marseillais par Bruno.

Et c’est parti pour les grandes eaux pendant 5 minutes. Je suis interrompue par Magalie, la surveillante, qui ronge son frein pour savoir comment s’est passée l’inspection et s’attend à tout moment que je débarque au bureau de la vie scolaire, le sourire aux lèvres, prête à payer un coup à tout le monde.

« Alors, Tam ? CHAAAAAAMPAAAAAGNE ? »

Je finis par sortir de ma tanière, avec mes yeux de lapin myxomatosés.

« Oh merde. Ca s’est mal passé ? »

Re-grandes eaux.

« Oui. Je me suis fait allumer. Je vais peut-être refaire une année comme stagiaire. »

Et je suis sur le point de me déshydrater à vie vu le torrent de larmes qui s’échappe de mes globes oculaires, mais ça c’est un détail.

« Je suis désolée. Tu sais quoi, prends toi une heure pour te reposer, on s’occupe de tes 4e. »

« T’es sûre que ça vous dérange pas ? »

« Mais non, t’inquiète ! »

En même temps, vu ma tronche, effectivement, mieux vaut rester cachée.

« Je vais attendre que ça sonne pour sortir des toilettes, j’aimerais bien éviter qu’on me voie comme ça. »

« Attends je fais le guet, je te dis quand tu peux sortir, tu te mettras dans la salle info pour les profs. »

Avec une réserve de mouchoirs. Mes collègues traînassent à la sonnerie, je leur tourne le dos et dit que je n’ai pas cours pour l’heure à venir. Seule Sophie a capté que j’avais bien cours et que je suis en train de craquer, elle me tend un mouchoir et me souffle :

« Rien n’est définitif tant qu’elle n’a pas écrit son rapport. Il y a trop d’éléments positifs en ta faveur. Et arrête, tu vas me faire pleurer moi aussi. »

Effectivement, ça serait bien que je m’arrête. J’ai une heure pour reprendre un visage normal. La salle des profs est vide, je suis toute seule comme une nouille abandonnée dans une poêle avec de l’eau salée autour.

Et merde.

J’en suis à mon quatrième mouchoir, mon tuteur n’a pas répondu à mon appel, probablement parce qu’il est au téléphone avec l’inspectrice.

Ze Big Boss, qui a vu les surveillants emmener ma classe à l’étude, se doute que quelque chose ne tourne pas rond, et entre avec précipitation dans la salle des profs.

« Je suis vraiment désolée que ça se soit passé comme ça. Attendez, je vais vous faire une tasse de thé. »

« Non, c’est moi qui suis désolée de ne pas réussir à me contenir. Mais là, ça fait trop et je suis déçue de ma prestation et du fait que ma titularisation soit remise en question. »

Et accessoirement, hyper gênée que ma principale me récupère comme une loque en salle des profs et que mon système lacrymal soit toujours au top de sa forme, contrairement à mon moral.

Ze Big Boss a passé au moins 3 quarts d’heure à tenter de me rassurer sur mon futur. Le temps que 2 collègues entrent en salle des profs, voient ma tête de pizza 4 saisons, et prennent le relais.

Je n’ai pas pu faire cours de l’après-midi, alors que j’avais envie de retrouver mes élèves pour me remonter le moral.

Ca s’appelle la louze.

Grosse crise d’angoisse en rentrant : « Est-ce qu’elle a raison, et est-ce que je suis une incompétente ? Est-ce que je suis incapable de faire ce métier ? »

Le coup de fil de mon tuteur a réouvert les canaux :

« Je comprends pas très bien, en fait. Elle a dit qu’il y avait beaucoup de positif, mais elle est complètement obnubilée par cette histoire de répétition. Pourtant, c’est un classique chez les stagiaires, et je lui ai bien dit. Je comprends pas. Avec tous les projets que tu organises, c’est juste pas possible qu’elle t’enfonce comme ça, la plupart de mes collègues n’ont pas autant d’initiative que toi. »

Et blam.

« Elle propose de revenir, tu en penses quoi ? »

Mais youpie ! J’ai super envie !! On ira boire un coup après, je lui ferai la bise, et tout.

« Ben franchement, j’ai pas envie qu’elle revienne. Mais si c’est dans mon intérêt…. »

« Je te sens super déprimée, ça m’embête beaucoup. »

« Non mais ça va aller, faut juste que j’encaisse. »

Le lendemain, je prends à 10 heures et Ze Big Boss m’attend avec tout le monde en salle des profs pour une séance « Remontage de moral ». La tête inquiète de Thierry, qui était absent hier mais a entendu parler de ma décapitation, en dit long sur les discussions de ce matin.

« Je comprends vraiment pas ce qu’il s’est passé, je suis persuadé que tu as beaucoup d’avenir dans ce métier, moi ! »

« Non mais elle a craqué, hein. On va l’attendre avec une batte de base-ball, la prochaine fois. »

« Et puis je crois qu’on a le droit de la rencontrer en tant qu’équipe éducative pour s’entretenir avec elle. »

« On va pas s’en priver, tiens. »

« Ou on lui fera un courrier en recommandé. »

Ajoutez à cela le week-end familial avec ma nièce de 3 ans qui m’attendait avec une boîte magique pour me consoler : des mouchoirs roses avec des fées dessus, un paquets de cookies au chocolat, des boucles d’oreille. Le débrief avec mes parents et mes frères et soeurs pour m’expliquer qu’une athée comme moi ne peut pas penser que l’inspecteur est Dieu, la proposition de mon père de copier la plaque d’immatriculation de l’inspectrice et d’aller faire des excès de vitesse devant des radars, j’étais parée pour retourner au travail la semaine suivante.

Tape 1 si tu penses qu’on t’a pris pour un con toute l’année

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Ce soir, la nostalgie m’étreint avec un mélange de douceur et d’amertume aux accents de fin d’année.

L’IUFM, c’est terminé (pour la rime).

On pourrait penser que l’heure est au bilan, que cette page ne peut se tourner dans un bruit de froissement délicat sans crier au monde entier ma peine, ma douleur, sans que j’exprime enfin tout ce que j’ai appris en seulement quelques séances, que dis-je, une année entière.

Malheureusement, et ce pour le plus grand désarroi de ceux qui me lisent et portent en ce moment-même une main décharnée vers un coeur qui bat la chamade, dans un effort vain d’en calmer les soubresauts, je ne vais pas pouvoir tirer de bilan de cette année IUFMesque.

Tout simplement parce que je n’ai quasiment rien appris et qu’il me semble inutile d’en rajouter une couche et de verser dans la rancoeur qui a été la mienne toute l’année de gâcher une journée à écouter du blabla pseudo pédago-démago-démerdo-officiello chiant à mourir.

Par contre, je vous fais don de la dernière journée, parfaitement représentative de cette année.

Le matin : méga-teuf avec les inspecteurs de notre discipline. Qui nous ont expliqué la réforme du bac. VF, 3D, powerpoint,  grand luxe quoi. Un rebondissement est venu nous secouer de notre semi-somnolence : pour la première fois, on nous a demandé notre avis. A nous, les premiers concernés.

Les inspecteurs : « Est-ce que vous avez des idées à nous apporter pour améliorer la formation de vos collègues l’an prochain ? »

L’espace d’un instant j’ai craint le tremblement de terre, la révolution généralisée. J’ai cru être témoin, pour la première fois de ma courte vie, d‘un soulèvement, de barricades, d’un cri du peuple à faire tomber des têtes.

Qu’est-ce que je peux être naïve….

Comme nous étions environ 95 % de l’effectif à ne pas encore avoir été « visités » par nos inspecteurs adorés pour notre titularisation, c’est une version tiède de Mai 68 qui a suivi, du genre laissée trop longtemps au micro-ondes.

« Il faudrait que certains tuteurs soient dégagés de leurs responsabilités, je n’ai pas eu le temps de voir le mien aussi souvent que j’en avais besoin. »

« Certains stages du PAF (Plan Académique de Formation) tombaient en même temps que les journées IUFM, donc on ne pouvait assister qu’à la moitié et c’est bien dommage ! C’était teeeeeeellement passionnant. » (merci Miss Et-moi-et-moi-et-moi, n’oublie pas de lécher mes ballerines avant de repartir pendant que ta langue traîne par terre)

Je sais. Vous êtes choqués par le ton à la « J’accuse ». J’ai tenté de retranscrire au plus juste la violence des propos, pour que ce moment reste à jamais gravé sous wordpress.

Remarquez, je la ramène mais je n’ai pas été plus loquace que les autres et j’ai soigneusement évité de me mettre en danger (après recherche, ça a vraiment l’air sympa, la Somme !).

Bon, j’ai quand même mis mon grain de sel.

« Heu…est-ce que par exemple on pourrait  éventuellement envisager que le module « Gestion de classe » soit placé avant la pré-rentrée et pas 3 semaines après ? Ca me semble un peu plus judicieux, d’un point de vue organisation. »

Hochements de tête de mes rares collègues qui ne se prélassent pas dans les bras de Morphée. Feignasses de profs, tiens !

Réactions : Et que je dodeline de la tête et que je fais semblant de prendre des notes, comme si je n’y avais jamais pensé avant.

L’après-midi : Travail sur l’évaluation orale. Ah oui mais problème : la formatrice en charge du module n’a pas pu venir et a donc chargé une autre copine formatrice de faire le module. Sauf que la dame en question n’avait pas vraiment envie de faire le module, en fait. Nous non plus, ceci dit. Donc à la place, séance de thérapie collective. Su-per.

Je râle beaucoup, hein ? Ma réticence vient du fait que Miss Et-moi-et-moi-et-moi était dans mon groupe, une fois de plus. Et qu’il a fallu qu’elle la ramène pour dire des choses aussi passionnantes que Camping-car magazine quand on ne possède pas de camping-car.

J’ai lancé les hostilités en la jouant Caliméro :

« Je n’ai pas autant progressé que ce que j’aurais dû. Mon tuteur n’est pas dans mon établissement, mes collègues d’anglais ne me parlent presque pas parce qu’ils ne voulaient pas être tuteurs, et donc l’année a été un peu difficile. »

Réponse de la formatrice :

« Pour le tuteur, vous êtes un cas isolé (je suis ravie de l’apprendre, d’un coup mon horizon s’éclaire et j’oublie les mois de galère.) C’est normal que vous n’ayez pas eu le temps de progresser autant que vous auriez voulu. On ne vous demande pas la lune. Accrochez-vous, les vacances sont proches ! »

Mon arrêt maladie pour dépression nerveuse aussi.

Et là, intervention de Miss Et-moi-et-moi-et-moi : « C’est vrai que c’est difficile, avec les tuteurs. Par exemple le mien, qui est dans mon établissement, n’a pu me visiter qu’avec les 2 mêmes classes pendant toute l’année ! J’ai expliqué à mes classes qu’on préparait les cours ensemble, ça me semblait être la meilleure solution. »

Un meurtre. Je vais commettre un meurtre.

« Et sinon, vous avez rencontré des problèmes avec vos classes dont vous aimeriez qu’on parle ? »

Hmmmm Mike qui se prend pour un canard ou passe des coups de fil avec sa trousse ? Les 4eA qui sont capables de tout et n’importe dès que je tourne le dos ?

Re Miss Et-moi-et-moi-et-moi : « Moi je suis en lycée et c’est difficile quand ils n’osent pas parler. Parce que dans leur tête c’est trop la honte et c’est des fayots s’ils répondent aux questions de la prof, quoi. »

Au pire je risque quoi, si je la saigne devant tout le groupe ? Qu’on me dise merci ? Y’a pas un Monsieur Et-moi-et-moi-et-moi qui l’attend, c’est pas possible.

Pétage de câble de Tamara qui tente de se contenir difficilement et lance d’une voix dans laquelle pointent l’ironie et l’agacement.

« Oui. Ca s’appelle des ados, en fait. »

Coup d’oeil de la formatrice qui se rend compte que j’ai de la fumée qui sort des oreilles et le poing dans les starting-blocks.

« Voilà, votre collègue a raison, c’est typique des ados, ce genre d’attitude. »

Miss Et-moi-et-moi-et-moi, aussi fine qu’une tranche de rosette coupée par un boucher-charcutier apprenti à 5 heures du mat avec une trancheuse mal affutée n’a pas compris que c’était le moment de se taire. Une bonne occasion de souligner que le CAPES est parfois donné à des gens qui ne vivent qu’avec 2 neurones. Pauvre France de demain.

« Et en plus, certains se moquent ouvertement des « intellos » ! « 

Fichtre. A côté, un établissement ECLAIR, c’est une manifestation de playmobiles dans une bassine rouge en plastique avec des résidus de calcaire dans le fond. Qu’on se le dise.

Tamara : « Mais tu veux pas t’étouffer avec ton écharpe, là ? Ben tu les rembarres ! Quand tu te fais ridiculiser par la prof devant toute la classe, à priori, tu te la fermes pendant une semaine ! » (Genre faire chanter Alphonse devant toute la classe. Gniark gniark gniark)

De quoi faire hurler d’horreur un pédagogue averti, je le reconnais sans vergogne . Et rabattre un peu son caquet à l’autre, là.

Miss Et-moi-et-moi-et-moi à la fin de la journée

Pour clore ce post, un questionnaire envoyé par la DAFOP (division académique à la formation des professeurs) dans ma boîte mail.

Avez-vous participé au module « Entrée dans le métier ? »

Gné ? Les quelques jours avant la rentrée, tu veux dire ? A écouter des billevesées sur les programmes officiels et à ne pas apprendre comment gérer une classe ou faire un cours chez soi ? Ben heu… ouais, j’étais là. ‘fin, physiquement.

Pour chaque proposition merci d’indiquer votre appréciation sur une échelle de 1 (très insuffisant) à 4 (très satisfaisant)

Conditions matérielles : Y’avait un ordi et un vidéo proj’. Allez, je mets 3.

Clarté des objectifs : J’ai toujours pas compris, donc 1.

Adaptation du contenu aux objectifs : Pas compris. 1.

Qualité des méthodes et démarches de formation : Heu…2 ? Ils se sont déplacés, quand même.

Alternance théorie/mise en situation : J’ai passé la journée les fesses sur une chaise à faire semblant de prendre des notes avec mon ordinateur. 1.

Pertinence des contenus en vue d’un transfert : inutilisable en classe. 1.

J’ai noté tous les modules auxquels j’ai assisté pendant l’année, et ai tenté d’être plus clémente avec ceux du PAF. Parce qu’ils le valent bien.

Qu’en dirait Freud ?

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Vous me connaissez, c’est pas mon genre de critiquer l’IUFM. On ne m’entendra pas dire que j’ai mieux à faire que d’aller passer la journée là-bas, du genre dormir, regarder un épisode de Downton Abbey, regarder ce que je peux me payer avec l’augmentation de salaire dont bénéficient désormais les stagiaires (passer des nouilles 1er prix aux Barilla, mon rêve est enfin réalisé), peaufiner ma séquence sur le passif, m’interroger sur mon avenir en terre picarde….

Je ne m’abaisserai pas à dire qu’on nous prend vraiment pour des abrutis et que bien souvent j’ai l’impression d’y perdre mon temps. Parce que se former, c’est important, et qu’il faut savoir se raccrocher au peu de formation que l’on nous accorde.

J’en vois qui rigolent, au fond, si ça ne vous intéresse pas vous pouvez sortir !

Bon, j’ai encore gâché une journée à écouter des sornettes sans fin (oui, des fois j’aime bien jurer comme une écolière du 19e).  J’oscille entre exaspération, tristesse, énervement, prise de tête et ironie sournoise. Je vous mets tout dans un paquet avec un ruban autour.

J’y croyais au début, en plus. Nan mais vraiment (pour les deux du fond qui se marrent, amusés par cette naïveté que je me trimballe depuis ma tendre adolescence), j’avais l’espoir, en voyant le programme de la journée, d’apprendre quelque chose. Je me suis fourrée le doigt dans l’oeil jusqu’au petit orteil.

Matin : Atelier sur la sexualité et les jeunes. Décodage façon Tamara : Apprendre à gérer Dylan lorsqu’il se masturbe en cours, Kévin qui mime une fellation quand j’explique un exercice, ou expliquer à Lucas pourquoi ce n’est pas correct d’apostropher Jessica dans les couloirs avec l’expression : « Va  sucer des bites, salope ! »

Après-midi : Atelier sur l’image et les médias. Décodage façon Tamara : Comprendre comment les médias ont réussi à faire des générations d’anorexiques, boulimiques, obèses, complexés au possible par leur apparence, leur faire comprendre que même s’ils n’ont pas une tronche de papier glacé et le dernier Longchamp, ils ont le droit de vivre.

C’était mal connaître l’IUFM (ton univers impitoyaaaableu).

Le matin, une infirmière-psychologue a accueilli mon atelier avec un enthousiasme proche du délire. Comme elle n’était pas formatrice IUFM, je ne me suis pas méfié. J’aurais dû.

« Vous allez commencer par m’écrire les 10 mots qui vous viennent à l’esprit quand on vous dit « sexualité ». Ensuite vous les classerez dans 2 pommes différentes. »

2 « pommes ».

Des catégories, on dit, chez les adultes. Mais bon.

Cette activité a eu le mérite de ramener à la vie les adolescents qui sommeillaient en nous : gloussements, sous-entendus, clin d’oeils complices, etc…

Après un déballage de « qui a trouvé quoi », nous avons eu droit à un diaporama qui a duré toute la matinée. Sur l’âge de la majorité sexuelle, le cerveau de l’adolescent, bref comme d’hab’, tout dans la théorie, rien dans la pratique.

Au fait, j’ai dit que Miss Et-moi-et-moi-et-moi était dans ce groupe ? Nan ?

Ben elle était dans ce groupe.

Mais curieusement, peut-être par instinct de survie et pour le bien-être de toute la communauté, on ne l’a pas entendue. Une extinction de voix, probablement.

Matinée de foutue, donc.

Et l’après-midi, me direz-vous ?

Je ne me souviens que d’une chose : l’étude de publicités des années 50. Nous être fait expliquer en long, en large et en travers comment la campagne de pub d’un soda pétillant de couleur marron réussit à nous donner soif rien qu’avec la couleur rouge.

Respect.

Merde. C’est la couleur de mes nouvelles chaussures.

« Allez, on se barre, Tamara ? On lui a dit qu’on décollait à 16h parce qu’on avait un conseil de classe ! »

« Mais il est 15h30, bordel ! On peut pas partir maintenant, ça se fait pas ! »

« Tu dis ça par conscience professionnelle, ou parce que tu n’as pas fini de te limer les ongles de la main droite ? »

« Les deux, mon capitaine. »

Zéro pointé pour la réforme de la formation des enseignants

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Occasionnellement, pour donner l’impression que je suis une prof cultivée avide de connaissances et hyper au courant de l’actualité politique, je lis Le Monde.

J’ai particulièrement apprécié cet article : http://www.lemonde.fr/enseignement-superieur/article/2012/02/08/le-requisitoire-de-la-cour-des-comptes-contre-la-reforme-de-la-formation-des-enseignants_1640274_1473692.html

Si tu es plutôt le genre à lire les articles en diagonale et/ou à répondre « Nique ta mère » quand on te dit « Obtempère », je te résume le tout :

– cette fameuse réforme sur la mastérisation qui a semé un chaos total dans les universités, a inquiété les étudiants à vocation professorale sur leur avenir (master, pas master ?), non seulement elle a sacrifié déjà 2 générations de stagiaire (dont moi), mais en plus financièrement elle n’a PAS DU TOUT tenu ses promesses.

De moins en moins d’étudiants ont envie d’être profs, non seulement parce que les conditions deviennent de pire en pire, mais parce qu’en plus il faut se fader un master complètement flou élaboré par les facs au dernier moment (je connais des victimes)

Rien à garder, tout à jeter.

TOUT ? C’était sans compter sur l’obstination d’un gouvernement qui malgré les avertissements des profs, des étudiants, de ceux qui s’y connaissent vraiment, résiste encore et toujours à l’envahisseur à dégager cette réforme et la remplacer par des mesures efficaces. Et la vie n’est pas tous les jours facile pour ceux qui en font les frais.

Comment ça ? MOI, revendicatrice ??

L’important, c’est l’apprenant.

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Qu’on ne s’y trompe pas.

J’adore aller passer la journée à l’IUFM dans une ville avec des arrondissements, retrouver mes potes et faire l’élève derrière sa table en disant des méchancetés sur le prof.

C’est pas le problème.

Je trouve qu’occasionnellement on nous donne des SUPER bonnes idées de projets à mettre en oeuvre dans nos classes et établissements.

Occasionnellement.

Le problème, c’est pas toujours les formateurs. C’est aussi les autres stagiaires. Je ne m’érige pas en cerveau du groupe, une espèce de super-stagiaire au QI supérieur, qui sait déjà tout du métier et émerveille par ses remarques pertinentes.  Mon niveau de prétention n’est pas assez élevé pour ça.

Quoique….

Certains stagiaires sont quand même loin d’être des lumières.  Ou alors « The light’s on, no one’s home », comme on dit en anglais. J’ai sans doute cette impression parce que j’ai passé mon après-midi à tenter de travailler dans un groupe avec 3 autres personnes qui apparemment étaient un peu à la ramasse. Ce fut dur.

Très dur.

Le thème de la journée : Les élèves en difficulté.

Après avoir passé la matinée en conférence avec un sociologue qui a tenté de nous inculquer des concepts passionnants du type « démocratisation ségrégative », « adultérisation », et autres gros mots, nous avons été répartis l’après-midi en groupes par matière.

Le formateur avait préparé des études de cas. A, B, C ou D. Chacun devait réfléchir sur son étude de cas, trouver les causes et les conseils et solutions. 5 minutes plus tard, les stagiaires qui avaient étudié le cas A devaient se rassembler, pareil pour B…Etc. Le but : débattre de ce que chacun avait trouvé, mettre en commun avant de « rapporter » auprès des autres membres du groupe.

Là, ça a commencé à être pénible.

Ou plutôt, certaines personnalités se sont distinguées.

Miss Et-moi-et-moi-et-moi: Caractéristiques : interrompt en permanence les autres pour ajouter sa petite anecdote et parler de sa vie. Effets sur le stagiaire et l’être humain en général : réaction épidermique, envie de foutre des baffes, ou d’entonner une célèbre chanson de Patrick Sébastien (pas le petit bonhomme en mousse)

Miss « en fait heuuuu »: Caractéristiques : commence chacune de ses phrases par « en fait heuuuu », balance occasionnellement des phrases d’une pertinence redoutable du type « les élèves sont tous différents. » Effets sur le stagiaire et l’être humain en général : consternation, léger énervement à chaque amorce de phrase.

Miss « j’aime parler hyper fort et je suis hystérique »: Caractéristiques : à chaque pause, sort son paquet de copie et corrige en faisant des commentaires à voix haute. Parle toujours à voix haute, d’ailleurs. Son rire perce les tympans de toute personne à 400 mètres à la ronde. Effets sur le stagiaire et l’être humain en général : irritation du système auditif, irritation tout court.

Mon groupe, le groupe B, avait l’honneur de compter parmi ses rangs Miss « en fait, heuuuu », plus une stagiaire qui n’a pas pu rester parce qu’elle devait prendre son train, et une autre qui a décrété qu’elle était en lycée, et qu’elle n’avait pas ce genre de problème en lycée donc qu’elle n’allait pas être très utile à la conversation.

Génial.

« Vous avez beau répéter la consigne plusieurs fois, il y a toujours des élèves qui ne savent pas quoi faire. » Effectivement, en lycée ça n’arrive jamais.

Moi : Alors dans les causes vous avez mis quoi ?

Miss « en fait, heuuuuu » : En fait, heuuuu…. Soit ils ont pas écouté, soit ils sont cons.

Autre stagiaire : Moi j’ai pas ce problème en lycée.

Moi : Ils ont peut-être pas écouté, mais on peut aussi mettre que la consigne n’a pas été bien expliquée, non ?

Miss « en fait, heuuuuu » : En fait, heu……Ah ouais, peut-être

Autre stagiaire : Qui c’est qui rapporte ? Moi j’ai pas envie de le faire, en plus vu que j’ai pas ce problème au lycée…

Miss « en fait, heuuuu » : En fait, heuuuuu……Ouais moi non plus. Vas-y, toi, t’es à fond dedans.

Le tout en me pointant du bout de son stylo. Sympa. Me concentrer sur le tableau pour éviter de lui faire bouffer son stylo.

Moi : Et dans les solutions ?

Miss « en fait, heuuuu » : En fait, heu….Ben faut répéter la consigne jusqu’à ce qu’ils captent. Et sinon tu leur dis qu’ils demandent à leurs camarades, faut qu’ils apprennent l’autonomie.

Autre stagiaire : Ils sont plutôt autonomes, dans mon lycée.

Moi : Reformuler la consigne, non ? Et l’écrire au tableau ? La faire expliquer par un élève ?

Miss « en fait, heuuuu… » : En fait, heuuu… ouais, c’est bien, ça.

Le tout sur fond sonore « Miss hystéro » à plein tube : et que je te raconte ma vie, et que j’éclate de rire, et que je sors mes copies pour montrer comme mes élèves sont nuls….

Au moment de tout mettre en commun, Miss Et-moi-et-moi-et-moi a fait son apparition. Chaque intervention de stagiaire était ponctuée par une anecdote personnelle passionnante.

Groupe A : On a travaillé sur l’exemple d’une classe dans laquelle il y a beaucoup de chahut, et avec laquelle c’est difficile de travailler. Le cours est haché et il faut sans cesse faire de la discipline. D’un point de vue solutions, on a pas trouvé grand-chose, on galère beaucoup ! L’une d’entre nous a dit qu’elle menaçait régulièrement avec des interros surprises.

Miss Et-moi-et-moi-et-moi : C’est comme pour moi, quand ils discutent, je fronce les sourcils et je dis « chut », j’ai remarqué que ça marchait bien.

Silence et échange de regards consternés.

Le formateur : Les autres, vous avez des solutions à proposer ?

Miss « En fait, heuuuuu »: En fait, heuuu…Les ados, ça parle beaucoup, en fait. Donc bon faut les menacer.

Miss Et-moi-et-moi-et-moi : Ca se voit quand on leur propose de discuter sur des thèmes qui les intéresse. Je me souviens, une fois, j’ai organisé un débat sur les droits de la femme et ils étaient à fond dedans. Ca a été 20 minutes de pur débat en anglais, un régal pour les oreilles.

Autre stagiaire : Ah oui, les débats au lycée, c’est bien.

Miss hystéro : « Ca, quand il s’agit de papoter !!! Ahahahahaaaa !! »

Certains stagiaires avancent des idées, le formateur en propose certaines, on passe au cas suivant.

Groupe C : Nous on s’est penché sur le problème de la mauvaise ambiance de classe. Comment créer une cohésion, tout ça.

Miss Et-moi-et-moi-et-moi : C’est vrai que c’est difficile. Moi ils viennent toujours avec le sourire aux lèvres en me disant qu’on va bien s’amuser parce qu’ils adorent l’anglais. C’est vrai que je propose des activités tellement ludiques. Ils travaillent sans s’en rendre compte.

Miss « en fait, heuuuu.. » : En fait, heuuu…. Il faut savoir attirer leur attention, pour qu’ils aiment la matière et s’entendent bien entre eux. L’important, c’est l’apprenant.

Miss hystéro : Ah ouiiiiiiiii !!!! Mais attirer leur attention, c’est duuuuuur !!! »

Le formateur lui lance un regard vide. Puis il se tourne vers nous autres, attendant des suggestions. Quelques stagiaires tentent le coup, provoquant systématiquement une anecdote de la part de Mis Et-moi-et-moi-et-moi, appuyée par Miss « En fait, heuuuu ». Le pétage de plombs n’est pas loin.

Moi : Je mise beaucoup sur l’humour, personnellement. J’ai mes « private jokes » pour chaque classe, et je dois reconnaître que ça aide beaucoup.

Le formateur : Vous pouvez développer ?

Moi : Et bien, par exemple pour les 4eC je ….

Miss Et-moi-et-moi-et-moi : Ca me rappelle le dernier débat que j’ai organisé en 1ère. Ils sont arrivés dans la salle de classe, j’avais poussé les tables au fond de la classe et placé les chaises en cercle.  Fallait voir leur tête quand ils sont arrivés dans la salle ! Ils étaient vraiment surpris ! »

Miss « en fait, heuuuu » : Oui c’est important de changer les tables de place, des fois.

Miss hystéro : Mais ouiiiiiiiiiiii !! Tout à fait !! Bousculer leurs petites habitudes, tout çaaaa !!! Hihihiiiii !

J’ai tout simplement fait ce qu’elles auraient dû faire tout l’après-midi. La boucler.

J’ai rarement éprouvé autant de bonheur à l’idée de retrouver mes chers petits.

Une conclusion s’impose : Mes élèves sont des génies bien élevés. Certaines stagiaires, par contre….

La Visite, Part Two

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D-day has arrived. Un peu flippée à fond les ballons malgré les bons soins de mon tuteur qui a sacrifié son samedi « pour qu’on bosse la séquence et qu’on lui ponde un truc potable. »

D’un point de vue logistique, la formatrice devait arriver vers 9h15 pour me voir rapidement à la récré, puis enchaîner sur l’observation de mon cours de 10 heures. Mon tuteur est là, et il se précipite avec moi en salle des profs à la sonnerie pour rencontrer le dragon la formatrice.

Il n’y a personne.

Vous savez, ces scènes de western dans lesquelles le vent souffle et fait se déplacer des boules de poussières et branchages ? Même genre d’ambiance. Les papiers des syndicats sont légèrement agités par la brise de l’ouverture de la porte.

Mes collègues font leur entrée un par un, me jettent un regard genre « elle est où », constatent qu’elle n’est pas là, et m’entourent pour me lancer des grosses vannes, et des « on te voit bien faire depuis le début de l’année, tu vas gérer comme une pro ! »

Bruno est remonté à bloc, il a rodé ses questions pour amener sur le tapis ma carrière dans l’humanitaire, et révise son « How do you do ». Il a planqué une boîte de Mon Chéri dans son casier pour en offrir à la formatrice « parce que c’est bien des chocolats de nana ». Il tente de trouver un nouveau stratagème pour savoir comment la visite se déroule.

« Alors je t’envoie un élève pour chercher une chaise, avec un code genre « M. B. vous demande si le hibou mange ses graines ». Et si ça se passe mal, tu lui dis de me transmettre le message « le hibou a perdu une plume », si ça se passe bien tu lui dis « le hibou est perché ».

Cette semaine, il a alterné les moments « déconne » avec Eric, le prof de SVT avec les conseils rassurants :

« Faut bien que tu te dises qu’elle vient juger un seul cours et pas toute ta personnalité »

« On lui donne un grand coup sur les fesses et on dit « oooh pardon ! On pensait que vous étiez Tamara, c’est comme ça qu’on lui dit bonjour et au revoir ! »

 La Principale arrive, s’apprêtant à s’excuser de son retard, et constate que la formatrice n’est pas là :

« Mais c’est pas possible, qu’est-ce qu’elle fait ? Ca m’énerve, ça ! On l’attend, on l’attend !! « 

Les collègues sursautent et tournent la tête vers la porte chaque fois qu’elle s’ouvre, et poussent un « pffff » de dépit à chaque fois. Elle n’est toujours pas là.

Ambiance « la petite dernière passe l’oral de français ». J’ai l’impression d’avoir 16 ans.

Ma collègue de maths qui vient d’avoir les 4e C me souffle : « je les ai brieffé, t’inquiète. J’ai dit qu’ils devaient se tenir à carreau en anglais s’ils voulaient participer à la sortie cinéma de la semaine prochaine. » Bon, au départ je ne voulais pas les mettre au courant, mais tant pis.

Finalement, elle arrive. Elle ressemble à un être humain, elle me sourit et me tend la main. Direction la cour de récré, en me demandant dans quel état sont les 4eC. La formatrice et mon tuteur me suivent. Tu parles d’une procession. Mes collègues ont à peine le temps de réagir, et j’aperçois la tête déconfite de Bruno qui n’a pas eu le temps d’en placer une.

Premier choc : les 4eC sont TOUS rangés par 2. Ils m’attendent sagement.

Deuxième choc : alors que comme à l’accoutumée je me poste à l’entrée de la salle et les salue individuellement pendant qu’ils entrent, les 4eC se fendent d’un « Hello, miss ! » hyper enthousiaste. Ils sont sous ecsta, c’est pas possible. Je vois un sourire amusé se dessiner sur les lèvres de la formatrice. Je kiffe ces gosses.

Troisième choc : Alors qu’ils s’installent, Emma lève la main et me gratifie d’un « I have forgotten my copybook, miss. I’m sorry. ». Je bugue pendant 2 secondes, la bouche entrouverte. D’ordinaire je me bats pendant 3 minutes pour obtenir un vague « Copybook. House. ». Ils sont chauds bouillants !

J’allume ma présentation powerpoint pour me rendre compte qu’une fois de plus et malgré le milliard de précautions prises pour que le format soit compatible, mes cadres de texte déconnent. PHEUUUUUUUUUUUUQUE ! Mon tuteur hausse les sourcils genre « c’est quoi ce bordel », la formatrice n’a rien remarqué et je trafique discrètement mes cadres de texte.

Pour chaque question posée, j’ai au moins 10 mains levées. Je suis en train de me demander si ce n’est pas moi qui suis sous ecstasy. Ils ne discutent pas entre eux, sont motivés en permanence.

A la fin de l’heure et alors que je les gratifie d’un « Goodbye everybody », non seulement ils me répondent mais en plus ils saluent la formatrice. Je ne leur ai rien demandé, donné aucune consigne, au départ ils ne devaient même pas être au courant de cette visite. Ils sont trop forts.

Le lendemain les 4e C me demandent si j’ai trouvé qu’ils « ont été sages » et si j’étais fière d’eux.

« En plus on a entendu « le monsieur » (aka mon tuteur) dire que ça s’était bien passé ! »

Après cet épisode et quand j’ai lu le rapport, j’ai décidé de bichonner les 4eC. Qui me le rendent bien.