Il m’arrive fréquemment de me demander pourquoi je m’obstine à aller au cinéma ou à me gaver de streaming et de bouquins quand la vie au collège est teeeellement trépidante.
Le bilan de cette semaine.
LUNDI :
Ca bourdonne et fourmille grave en salle des profs, en mode « Stupeurs et chuchotements ». Je sens la rumeur dégueu et me tiens à l’écart. C’était sans compter sur l’intervention de Julien, qui vient m’interrompre alors que je fais semblant de lire une brochure du SNES.
Allons bon.
« Et personne n’a vérifié qu’il était positif ? »
« Oh ben non ! C’est dégueu ! Y’a du pipi dessus ! »
« Certes, enfin déjà qu’il y a un tordu qui fait les poubelles, on est plus à ça près. »
« Ouiiiiiiiiii !! Et devine qui est en tête des sondages ? »
Ces gens m’épuisent et me blasent complètement. Et je ne peux même pas dire « vivement la retraite ».
« Comme t’as déjà une réputation de « Marie-couche-toi-là…. »
Génial. Il ne manquait plus qu’une grossesse à mon palmarès.
Le reste de la pause-déjeuner s’est apparenté à une espèce de chasse aux sorcières, qui s’est achevée par la sortie en trombe d’une Marie en larmes, à qui Eliane est venue demander si c’était elle qui était enceinte. Marie essaye d’avoir un bébé depuis 1 an, et ça ne marche pas. J’ai envie de distribuer des baffes, et je lance des oeillades assassines en direction du comité inquisitoire.
A 13H30, Renaud, Julien et Mélanie lancent l’offensive : « Foutage de gueule assisté anti-rumeurs », et balancent à la cantonade des remarques destinées à faire croire qu’effectivement, je suis en cloque. J’ai comme la vague impression d’être la petite dernière des Kardashian.
Les regards interloqués et silences gênés qui s’ensuivent sont un vrai régal.
MARDI :
Julien, Axel et Arnaud décident d’en rajouter une couche, et se comportent en parfaits gentlemen attentionnés. Ils portent mon sac, m’ouvrent la porte, me gardent un fauteuil. Je réprime difficilement un fou rire quand ils proposent d’aller chercher la clé de l’ascenseur, pour éviter de monter les escaliers « parce que dans ton état, ce n’est pas prudent ». Je rigole à peine moins quand Mélanie me confisque mon café « parce que la caféine, pour toi, ce n’est pas conseillé. »
Je sens que ça va me soûler, cette histoire.
D’autant qu’avec Pâques qui approche, j’avais prévu de manger du chocolat, et donc d’investir dans un pantalon avec taille élastiquée. Autant dire que ce plan tombe à l’eau (un peu comme mes espoirs d’avoir un gouvernement qui tienne la route.).
Le calme règne en salle des profs, jusqu’au moment où…….
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(c’est insupportable, ce suspense, non ?)
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Eliane se rend compte que les tracts de son syndicat (Le SNALC), déposés par ses soins sur la table basse hier, ont disparu.
Et là, je sais ce que vous vous dites.
Aussitôt, la chasse aux sorcières s’organise : qui a bien pu déplacer les fameux tracts ? Pourquoi ? Où sont-ils ?
La traque s’organise, et chacun passe en revue les possibles coupables et leur emploi du temps d’hier. Les principaux suspects sont les syndicalistes de la salle des profs. Eric, Marie, Domi, et bien entendu…moi-même.
« Dis-donc, Tamara, tu ne te serais pas permis de te débarrasser des tracts d’un syndicat concurrent ? »
« Tu plaisantes, j’espère ? Justement, en tant que syndicaliste, je ne me permettrais pas de balancer des tracts à la poubelle. J’ai un minimum de respect, moi ! Je vous conseille d’éviter ce genre d’accusations, surtout quand vous vous êtes permis de critiquer les dernières heures syndicales que j’ai organisées, qui donnaient toutes les infos sur la réforme, que vous n’êtes pas venus, et que maintenant vous flippez comme des malades face aux E.P.I. et me demandez de faire intervenir mon syndicat ! »
Je balance le dernier spécimen que j’ai reçu sur ladite table basse, histoire d’éviter de m’énerver autrement.
J’ai jeté un froid. Renaud ricane, et conclut ma prestation par : « Avec ses hormones, faut pas la chercher, Tamara, en ce moment ! »
« A mon avis, elle ne sait même pas qui est le père. C’est pour ça qu’elle est plus chiante que d’habitude. »
Je pars en claquant la porte, et me calme instantanément en arrivant devant mes 6èmes qui braillent en choeur : « Helloooooo, Miss ! ». ‘sont mignons, quand même….
N’empêche qu’il y a un vengeur masqué qui se balade en salle des profs en toute impunité et que personne ne sait qui c’est.
MERCREDI :
Le lendemain, la tension est à son comble dans la salle des profs.
Je parle « Qui veut gagner des millions » rencontre « j’ai reçu un courrier des services publics ». Du lourd quoi.
Et pour cause.
Les autocollants « humoristiques » de Jipé ont disparu.
Le vengeur masqué est de retour. Je m’apprête à faire face à une nouvelle salve de critiques et d’accusations, en me demandant si par hasard je n’aurais pas des Juifs ou des Russes blancs dans ma famille à l’insu de mon plein gré.
Heureusement, Mélina m’attend à la porte de la salle des profs. Mélina est en 6ème et je suis sa prof principale. Elle est venu me montrer le nouveau cartable acheté par sa mamie, qui est super pratique parce qu’il y a une poche pour son goûter ET un emplacement pour mettre le petit livre d’expressions anglaises qui ne la quitte jamais. Ses parents ont prévu de l’amener à Londres si elle a les félicitations. Comme sa moyenne générale est actuellement à 18,97, je ne me fais pas trop de souci.
Emilie la surveillante arrive, toute essouflée :
« Madame T., 2 de vos sixièmes sont en train de se battre dans la cour et on est débordés, vous pourriez venir ? »
Emilie est toute nouvelle, par conséquent, elle ne sait toujours pas qu’il faut m’appeler Tamara et me tutoyer. Je le lui rappelle, avant de filer vers la cour.
Effectivement, Thibaut et Pierrick sont en train de se rouer de coups. Loïc, mon collègue d’EPS, arrive juste avant moi pour les séparer. En me voyant débouler à toute vitesse, escortée de mes pseudos gardes du corps, bizarrement, les 2 catcheurs se calment.
J’ai très envie de me défouler et de leur hurler dessus, histoire de passer mes nerfs et de les faire flipper. Sauf que…. cette année, convaincue par une collègue de l’académie, j’ai mis en place un programme « Zen Attitude » avec mes 6èmes, pour occuper intelligemment les heures de vie de classe.
En résumé : pas de violence, on apprend à identifier ses émotions, respirer, se calmer, et respecter les autres. Certains collègues m’ont suivi avec enthousiasme, particulièrement en EPS, ce qui m’a beaucoup aidée, notamment pour leur faire faire les gestes de relaxation. Ma collègue de français aussi, pour leur apprendre à mettre des mots sur leurs émotions et surtout à les identifier. Inutile de dire que ça n’a pas été du luxe, car certains n’avaient aucune idée de ce que pouvaient bien vouloir dire les concepts de sérénité et harmonie.
Bizarrement, certains parents ne leur ont jamais appris à communiquer autrement qu’en se braillant dessus, à exprimer leurs émotions, et à verbaliser autre chose que des insultes. Autant vous dire que le premier trimestre a été riche en rebondissements et que l’équipe pédagogique « Zen Attitude » a pris cher, niveau fatigue (pas niveau heures sups, hein, faut pas déconner.)
D’autres collègues se sont bien foutus de ma gueule en me voyant leur apprendre à caler leur respiration sur leur pas. Mais, comme m’a répondu le père de Romain quand je lui ai suggéré l’aide d’un éducateur : « J’en ai rien à branler! ».
Zen Attitude. Je suis la sérénité intérieure. J’incarne le calme et la paix.
JEUDI :
De bon matin, Mélanie tente de m’extirper de sa Fiat Punto avec le plus grand mal. Je refuse d’aller en cours.
Non pas parce que comme d’hab, je n’ai pas eu le temps de mettre de l’anti-cernes.
Non pas parce que je n’ai pas assez d’argent sur mon compte en banque pour me payer un Benedict Cumberbatch en chocolat.
Il y a un nouvel élève en 4eB, qui est la classe que j’ai en première heure.
Est-ce qu’il est horrible ? Je ne sais pas.
Par contre, il s’appelle….Yoda.
J’ai été prévenue la veille, et j’ai passé toute ma soirée à me faire des blagues de Star Wars toute seule.
« Je serai incapable de me retenir, je te juuuuure ! »
« Tamara, tu arrêtes ton cirque tout de suite ! »
Au final, j’ai réussi à garder mon calme et à ne pas faire de blague.
VENDREDI :
Les Segpas arrivent en classe, déchaînés, en s’insultant et en se frappant. Toutes mes phrases sont ponctuées d’un « on s’en fout », et la plupart refusent de s’asseoir. Au bout de 10 minutes, et après m’être pris une chaise sur le pied, balancée volontairement par Brendon (oui, oui, vous avez bien lu, Brendon), j’envoie la gentille Amélie à la vie Scolaire pour demander à quelqu’un d’intervenir. Chose que je ne fais jamais. Elle remonte au bout de 5 minutes, en me disant que le CPE va se déplacer.
Tous mes muscles sont tendus, je me dis que je vais me faire frapper à tout moment. Une seule pensée me retient de me barrer en courant : les renforts arrivent.
Au final, ils ne sont jamais arrivés.
Brendon m’a dit que je ne passerais pas l’année, et quand le dernier segpa est sorti de mon cours en me traitant de pute, j’ai fermé la porte et me suis effondrée en sanglots sur mon bureau.
Le rapport écrit en détail, mes larmes séchées, je me suis assurée d’avoir fait 3 photocopies : une pour leur prof principal, une pour le chef, et une pour le CPE, à qui je suis allée l’apporter en personne. CPE qui m’a assuré que personne ne lui avait demandé de venir à mon cours, devant les 2 surveillantes qui sont allées lui rappeler 5 fois que Madame T. avait demandé de l’aide en urgence, et qu’il faudrait vraiment y aller.
Il prend son ton le plus paternaliste et condescendant :
« Alors, elle a du mal avec ses élèves, Mademoiselle T. ? »
Je le regarde d’un air méprisant et laisse le rapport sur son bureau en indiquant que j’irai à la gendarmerie demain matin.
Ce n’est qu’après avoir refermé la porte sans la claquer, que je perds un peu plus de ma Bouddha attitude.