Une inspection aux allures de Jugement Dernier, part 2.

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3 semaines plus tard, Ze Big Boss a arrangé le retour du dragon de l’inspectrice, en trouvant la seule classe dont le seul conseil ne serait pas passé à la mi-juin. En plein après-midi. Les conditions idéales.

Mes collègues ont prévu des phrases-choc au cas où ils la croisent en salle des profs.

« On se fait une réunion demain entre midi et deux pour voir où on en est du projet bi-disciplinaire ? »

« Merci pour les documents que tu as mis dans mon casier, ça m’a bien aidé pour ma séquence ! »

etc, etc

Sophie, après avoir confisqué à Mike un patron d’un goût assez particulier, a confectionné un cercueil en papier à déposer sur le pare-brise de notre visiteuse au cas où je me fais – une fois de plus – traiter d’incompétente notoire.

RIP l’inspection académique

Le jour J, cela fait une semaine que je ne dors presque plus et que je suis complètement malade de stress. 5 jours après la première inspection, j’ai récolté un arrêt de travail de 4 jours après avoir perdu ma voix, et écopé d’un mélange d’otite-laryngite.

« Je ne sais pas ce que votre système immunitaire est en train de vous faire payer, mais si vous voulez retrouver votre voix en moins d’une semaine, il va falloir vous reposer. » dixit mon médecin

J’ai passé des heures à préparer une séquence formatée comme il le faut, et prévu de les faire répéter, répéter et répéter.

Les élèves ont été brieffés de tous les bouts : Thierry, Ze Big Boss, mes collègues, les surveillants… Ils arrivent et se rangent par 2 devant la salle en me faisant des sourires furtifs.

« Vous allez voir Madame, on va être calmes et on a prévu de participer tout le temps. »

L’inspection n’a pas commencé, et j’ai déjà envie de pleurer.

Ze Big Boss escorte l’inspectrice jusque à ma salle, profite du calme apparent des élèves pour faire semblant de découvrir les derniers travaux que j’ai fait ce trimestre et qui sont affichés dans ma salle, les maquettes, puis nous lance en me faisant un clin d’oeil. Son côté mère-poule a pris le dessus, je sens qu’elle va être aussi stressée que moi pour l’heure à venir.

Tout s’est passé comme sur des roulettes.

Je les ai fait répéter, encore et toujours, le nouveau vocabulaire : « girls only ! » « boys only » « that row ». Et ils ont joué le jeux.

J’ai rapidement repris les quelques bavards, qui se sont calmés instantanément.

Ils ont fait des petites blagues en anglais.

Ils ont TOUS salués l’inspectrice quand elle est arrivée, et lui ont TOUS dit au revoir en repartant, avant de passer vers moi et de me faire un clin d’oeil ou de me souffler : « on a été bien, hein ? « .

En refermant la porte avant de prendre place pour la guillotine , j’ai croisé les doigts pour que le miracle se poursuive et qu’enfin on me foute la paix.

Le large sourire affiché par l’inspectrice ne m’a pas fait réagir.

« Alors, Madame T., qu’est-ce que vous pensez de cette séance ? »

« Ca s’est plutôt bien passé, ils ont bien écouté et étaient réceptifs. »

« Et par rapport à la dernière fois où je suis venue? »

C’est quoi le délire, là ? Elle s’attend à ce que je rampe par terre en disant que j’ai péché, que je ne le referai plus jamais ?

« C’était un début de séquence, ça n’a rien à voir avec la séance de la dernière fois, ce n’était pas les mêmes objectifs. »

« Oui mais ils ont bien répété, c’était très bien au niveau de la fixation. »

« Oui. »

Re-grand sourire. Re-visage impassible de mon côté.

« Je suis extrêmement satisfaite de cette séance. J’ai vu des élèves motivés, qui ont tous participé, ils étaient calmes. Je suis vraiment contente, vous avez prouvé que vous étiez capable d’entendre les critiques et de rectifier le tir. »

J’ai droit à un morceau de sucre si je tire la langue en bavant ?

« Vous partez toujours dans l’académie d’Amiens l’année prochaine ? »

« Oui, oui. »

« C’est parfait ! Vous avez une carrière prometteuse devant vous. Cette séance était vraiment bien construite et bien menée. »

Et chiante à mourir. Re-sourire. Re-visage impassible.

« Bon et bien, je crois que vous avez une réunion dans peu de temps, je ne vais pas rester plus longtemps et aller voir votre principale. »

1 heure de remontrances contre un quart d’heure de louange. Wow.

« Merci. »

Au point où on en est, je m’attends à une caresse sur la tête. Mais non. Elle file dans le bureau de Ze Big Boss pendant que je m’installe avec mon portable en salle des profs pour appeler mon tuteur et envoyer une cinquantaine de textos à mon entourage, qui me porte à bout de bras depuis 3 semaines.

Thierry passe la tête par la porte :

« Alors ? »

« C’est bon, elle était très contente. »

Il entre.

« Oh punaise, le soulagement ! Viens voir par ici, que je te fasse la bise ! »

Il m’entraîne vers son bureau :

« Ca fait 3 semaines que je me pose des questions, moi ! J’ai quand même des années d’expérience, je t’ai toujours vu comme quelqu’un fait pour ce métier,  je pense que tu es même encore mieux armée que certains de tes collègues plus expérimentés.  Je te dis pas le coup de massue que ça m’a fait quand on m’a dit que ta dernière inspection s’était mal passée. Je me suis dit que je n’étais plus capable d’évaluer quoi que ce soit correctement. Enfin, sur le coup, on était tous d’accord pour dire que c’était injuste, ce qui t’es arrivée. Je suis vraiment content ! »

J’implore silencieusement mon système lacrymal de se mettre en grève.

Ze Big Boss passe la tête par la porte :

« Je ne sais pas ce que vous lui avez fait, mais elle est ra-vie ! »

Ah oui c’est vrai, je peux sourire maintenant.

« Elle a dit et répété à quel point vous étiez créative et faite pour le métier, que vous alliez faire des étincelles. C’était le jour et la nuit. Je lui ai bien dit que j’avais l’intention de rester en contact avec vous pour suivre votre carrière, parce qu’elle n’est pas la seule à penser qu’elle est prometteuse ! »

Allons bon.

« Merci de m’avoir aidé à remonter la pente, je pense que sans vous et toute l’équipe éducative, je n’aurais jamais réussi. »

« Mais vous avez toutes les compétences pour être prof, et elle a fait une erreur de jugement, on allait pas laisser passer ça ! »

Je ne vais pas réussir à quitter cet établissement.

Même si Bruno a passé la récré à venir me hurler dans les oreilles pendant que je téléphonais.

Encore moins quand je suis arrivée dans le bureau de la vie scolaire et qu’ils m’attendaient tous en m’applaudissant et en criant.

D’autant plus quand j’ai vu marqué au tableau de la salle des profs : « BRAVO TAMARA, FUTURE INSPECTRICE ! »

À propos de Tamara T.

Je suis prof d'anglais en ZEP, au début de ma carrière, et j'ai été envoyée dans les Hauts de France grâce à la magie du système de mutations. Je partage sur ce blog mes aventures. Parce que l'Education Nationale le vaut bien.

Une réponse "

  1. Voilà, elle est contente, elle a montré qui commande, qui sait et qui décide.
    Pétasse.
    Dommage qu’il n’existe pas de bonus pour les collèges qui savent accueillir les jeunes profs comme il se doit.

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  2. Bonus maximum chez nous, c’est clair.
    ‘fin bon, même si c’est pas hyper glorieux d’avoir tout fait comme elle voulait la dame, on va dire que c’est une séance de temps en temps, et que sinon on fait ce qu’on veut.
    ‘fin chais pas, j’crois…

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  3. C’est trop de la cOOlitude pour toi !

    Bienvenue dans un monde de faux culs.

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