This world is a stage (hopefully)

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Si je suis au beau milieu d’une caméra cachée organisée par l’ensemble de mes connaissances, je pense qu’il est temps qu’elle s’arrête.

Ou alors je suis l’incarnation de Pierre Richard dans « La Chèvre », ce qui est encore plus probable.

J’ai déménagé le 25 août, et depuis, j’ai le cafard. Chose qui ne m’est JAMAIS arrivé, même lorsque j’habitais en Angleterre, bossais la journée dans une école, et habitais et m’occupais d’une boarding-house d’ados tous les soirs.

Le déménagement m’a donné le ton : après une courte nuit de sommeil ponctuée par des cauchemars plus ou moins invraisemblables, je suis arrivée à 14h devant mon futur appartement, et j’ai fait le pied de grue avec Queen Mum en attendant l’agent immobilier.

A 14h20, il n’était toujours pas là, et je redoutais qu’un de mes cauchemars devienne réalité : que je me sois plantée de jour. Après un coup de fil, c’était en fait lui qui s’était planté d’horaire et qui, après s’être confondu en excuse, est arrivé 20 minutes plus tard.

Sur mon emploi du temps personnel, j’avais prévu : 14h- 15h état des lieux, 15H30, arrivée du camion avec à son bord Dad Gyver, Super-frangin, et mes meubles.

J’étais très contente de montrer mon nouvel appart à Queen Mum, d’autant que des travaux devaient y être faits juste avant mon arrivée.

Vous le voyez venir gros comme une maison ? C’est facile, quand on lit le post après, bande de fourbes !

Bien entendu, les travaux n’avaient pas été faits, ou faits n’importe comment : les murs du salon étaient bruts, plein de taches dégueu, et la salle de bain… avait été couverte de PVC qui ne tenait plus et dont les joints étaient en mode « fugue mineur ». Le miroir et le néon n’étaient pas du tout au même endroit.

En me voyant changer de couleur, l’agent immobilier a compris qu’il était dans la merde. Moi aussi, remarque.

« On a un problème, là. »

« Ah heu… oui effectivement. »

« Il va falloir que les travaux se fassent. Rapidement. »

« Heu… Je vais appeler un artisan pour que ça se fasse. »

15 minutes plus tard, Dad Gyver et Super-frangin débarquent, et les bricoleurs-nés qu’ils sont se retiennent de ne pas rigoler en voyant les finitions de la salle de bain.  Ils ont déjà dégondé la porte d’entrée qui les gêne pour monter les meubles, et en 10 minutes ils ont déjà vidé le camion.

En me voyant tourner de l’oeil devant la montagne de cartons et de meubles à monter, Queen Mum m’envoie trouver une pharmacie pour acheter le tube de crème qu’il lui faut « absolument » et qu’on ne trouve « qu’en pharmacie ».  A mon retour un quart d’heure plus tard, tous les meubles sont montés, et la moitié des cartons sont vidés et pliés.

Des déménageurs ne feraient pas mieux.

L’artisan qui est venu le lundi matin m’a donné le choix entre 2 papiers-peints pour le salon ; vert pistache ou jaune-beige-pissou. Comme j’ai souvent tendance à avoir la nausée le matin, je me suis dit qu’il valait mieux choisir le jaune-beige-pissou.

J’ai passé une semaine dans la poussière, la colle, les bruits de visseuse, de perceuse, de marteau… ce qui m’a fourni un excellent prétexte pour 1. ne pas en glander une sur le plan professionnel 2. Visiter mon nouvel environnement

C’est à la rentrée que les choses se sont gâtées. Ou plutôt, quand j’ai découvert ma salle. J’étais absolument ravie d’avoir ma propre salle et de ne pas avoir à déménager. C’est un véritable privilège qui permet de faire sa déco, laisser des affaires, et c’est loin d’être un acquis dans mon corps de métier.

Quand j’ai rencontré les femmes de ménage et leur ai dit dans quelle salle j’étais, elles m’ont regardé d’un air ébahi : « Sérieusement ? Mais heu… tu as vu à quoi elle ressemblait ? »

C’est pas bon, ça.

« C’est-à-dire que… c’est la salle la plus petite et moins bien équipée de tout le collège. Les gens se battent pour ne pas l’avoir. En plus tu nous as dit que tu étais prof principale de la 5e3, non ? C’est pas la classe où ils sont 30 ? »

J’ai la classe la plus chargée et la salle la plus petite. On va dire que c’est du bizutage de néo-tit’. Ne pas penser aux salles spacieuses et lumineuses de l’année dernière.

En visitant la salle, j’ai constaté qu’effectivement elle était minuscule, avec un tableau noir, pas de vidéo-projecteur, pas de rétro-projecteur, pas de lecteur cassette ou CD. Je suis zen. J’amènerai mon ordi et des enceintes, ça va le faire.

Au repas de midi et en salle des profs, 3 personnes m’ont adressé la parole, dont ma collègue d’anglais, la secrétaire du collège pour me brieffer sur mon boulot de prof principale, et la gestionnaire pour régler la cantine.

Je me suis dit que j’avais été gâtée avec mon établissement l’année dernière, où en 30 minutes on m’avait accueillie, trouvé un surnom, expliqué le fonctionnement du collège, donné des astuces pour m’en sortir et fait raconter mon parcours universitaire. Pas de Papa Thierry ou de Maman Ze Big Boss dans les environs.  Je suis une grande néo tit’, je n’ai plus besoin de ça.

J’avais quand même la même impression qu’une petite 6ème perdue dans la cour de récré le jour de la rentrée. Avec la trouille qui tord les boyaux, et le reste.

Alors que je vérifiais la liste de la classe dont j’étais prof principale, ma collègue de maths y a jeté un coup d’oeil et m’a dit : « Punaise ! T’as récupéré un max d’ULIS, toi ! Tu feras gaffe à Bastien, il arrive pas à écrire son prénom correctement. Ah oui et Jean-Kevin a un niveau de maternelle. »

Ne pas penser à Bruno qui doit déjà être en train de raconter ses vacances avec force de mimes, Sophie qui doit servir des verres de vin à la ronde pendant que Ze Big Boss entame son discours de rentrée et que Thierry fait passer les chips. J’entends presque Nadine chanter un des tubes de l’été.

Je n’ai rien dit non plus en voyant mon emploi du temps plein de trous. 

Ni quand j’ai apporté mon tuperware en salle des profs pour manger jeudi midi, comme je le faisais l’année dernière, avec une dizaine d’autres profs et que c’était ZE moment pour papoter et se raconter des potins. Je n’ai rien dit parce que personne ne m’adressait la parole et que visiblement j’étais exclue des potins qui visaient à en balancer le plus possible sur un collègue « dont le nom commence par Dur » et que je n’étais visiblement pas capable de décoder le langage codé « Non mais tu te souviens du dossier dont je t’avais parlé par rapport au truc, là ? Ben il a rajouté une colonne pour mettre son machin, comme si c’était lui le chef ! ». Malgré mes regards et sourires pour tenter de montrer que j’étais là.

Je suis d’une naïveté déconcertante, d’avoir pu penser qu’on allait m’intégrer tout de suite sans même me connaître.

Pour me rattraper de mon ignorance sur le dossier « Dur », j’ai tenté un timide :

« Et vous, vous êtes profs de quoi ? Je suis désolée, je n’ai pas retenu tout à la réunion de lundi, ahaha ! Moi c’est Tamara, en anglais. »

« Elise, en français, et elle c’est Brigitte pour les maths. Du coup je suis allé le voir pour lui dire qu’il poussait un peu, et tu sais ce qu’il m’a répondu ? »

« Laisse-moi deviner : « Je savais pas, désolé » ? »

« EXACTEMENT ! Il se fout vraiment de ma gueule ! »

« Et du coup, vous êtes dans la région depuis longtemps ? Parce que moi je viens d’arriver. »

« Ouais ça fait 10 ans. Non mais ça va se régler à coup de poing, s’il le faut, hein ! Il va pas me faire le même coup que l’année dernière, faut pas déconner ! »

« T’as raison ! Tu te souviens comme je l’avais rembarré en salle des profs en mai dernier ? »

« Et vous savez où je pourrais me procurer un vidéo projecteur ? Il paraît qu’il y en a des portables dans l’établissement, et je n’en ai pas dans ma salle. »

« Oh ben si tu cherches, t’en trouveras un. Non mais ce qui m’énerve, c’est qu’il n’en parle à personne, tu vois ! Comme s’il avait le droit de faire tout ce qu’il voulait ! »

Texto de Ze Big Boss : « On pense bien à vous en salle des profs, comment ça va de votre côté ? » « Impec, même si tout le monde me manque beaucoup. Donnez le bonjour à tous. » Connaissant son côté mère-poule, mieux vaut éviter de rentrer dans les détails.

Première fois de ma vie que j’ai le cafard.

Qu’est-ce que je fous là ?

Je n’ai rien dit non plus quand une de mes élèves de 4e m’a dit qu’elle ne pourrait pas toujours faire ses devoirs, parce que son bébé de 6 mois ne faisait toujours pas ses nuits.

Je n’ai rien dit le lendemain midi à la cantine, quand mon collègue de Sciences-Physique s’est étouffé en apprenant en quelle salle j’étais, et a fait le tour de la salle à manger des profs pour le dire aux autres : « Nan mais cette salle devrait être un placard, au bas mot ! T’as vraiment pas de chance, toi alors ! »

Je n’ai rien dit quand je me suis rendu compte que certains parents n’arrivaient pas à remplir certains papiers administratifs et qu’il fallait surligner systématiquement les pièces à joindre, ou que je devrais remplir des dossiers de bourse pour les 3/4 de la classe.

Je n’ai rien dit quand je suis passée chez Sephora avant de rentrer chez moi, et que la vendeuse m’a tendu 2 échantillons de crème anti-rides. Connasse.

Je n’ai rien dit quand je suis rentrée dans mon appartement le vendredi soir et qu’il me restait des cartons à déballer et de la poussière à nettoyer, et que je me suis dit que je n’allais pas pouvoir passer le week-end avec mes amis, qui étaient tous à 6 heures de route au bas-mot.

Je n’ai pas laissé échapper un son quand Barnabé, un de mes nains de jardin préférés, s’est retrouvé par terre en mille morceaux à cause d’un courant d’air.

Ce n’est qu’en m’asseyant sur mon canapé et en ouvrant mon courrier que j’ai vu la carte envoyée par Ze Big Boss et signée par tout le collège, avec des petits mots gentils que j’ai craqué pendant une bonne heure et demie.

J’ai compris que je me prenais en pleine face les difficultés du métier et d’un poste de débutante, et qu’il était temps que je me confronte à la vraie vie et que je quitte le cocon de l’année dernière. Rome ne s’est pas construite en un jour, je ne vais pas me trouver un tas d’amis en une semaine.

Puis je me suis mise au boulot et ai relu les fiches remplies par mes élèves sur leur situation personnelle. Et là, j’ai esquissé un vague sourire.

 

 

À propos de Tamara T.

Je suis prof d'anglais en ZEP, au début de ma carrière, et j'ai été envoyée dans les Hauts de France grâce à la magie du système de mutations. Je partage sur ce blog mes aventures. Parce que l'Education Nationale le vaut bien.

Une réponse "

  1. Oh! Je vois que le monde des profs est pire que le monde des instits.
    Bon courage à toi, j’espère que tu t’es au moins évadée à la plage ce week-end?
    Lille, ça fait loin de chez toi

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    • L’avantage chez les profs, c’est qu’on a plus le choix niveau collègues. Et j’ai passé mon week-end à ranger, nettoyer, organiser…. Faudra que je pense à aller à la plage, t’as raison !
      Et non, je ne suis pas très loin de Lille !

      Réponse
  2. RIP Barnabé… 😦

    Maintenant, trouve-toi une bonne chorale, pour ton bien-être, santé mentale, vie sociale etc. Et ça viendra sûrement à l’école aussi, dans un deuxième temps. Sois patiente, et bon courage ma belle !!

    Réponse
    • Words of wisdom… je vais appliquer tous tes conseils (et rajouter le sport), et on verra ce que ça donne !

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  3. Si ça n’est pas le bout du monde, demande un stage ou deux, c’est l’occasion d’aller à la ville et de voir des compagnons de galère. J’espère quau moins l’emploi du temps te convient…
    Sinon ton collège de l’an dernier il existe vraiment ????

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    • J’te jure qu’il existe, m’dame ! Tu comprends d’autant plus mon désarroi et mon manque d’objectivité face à mon nouvel environnement de travail.
      C’est une excellente idée pour le stage, je vais me renseigner asap ! Merci du tuyau !

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  4. Bonjour Tamara,

    j’ai découvert ton blog cet été. Je suis prof aussi et après comme toi une année de stage idyllique à Arcachon… suis redescendue (à la fois sur terre mais toi aussi et dans le sud). En septembre 2006, je faisais ma rentrée de néo-tit’ dans l’Aisne et je vivais exactement la même chose. Te lire m’a fait de la peine car ça m’a rappelé d’affreux souvenirs.
    Quelques tuyaus : inscris toi à la médiathèque de ta ville, fonce à Paris aux musées…dès que tu peux et stt gueule pour qu’on change ton EDT tant qu’il en est encore temps. (au pire invente un prétexte valable).
    Malgré les prix exorbitants du train, grâce aux prem’s si tu t’organises, tu pourras rentrer en dehors des vacances et ça fait un bien fou.
    Alors une bonne dose de courage à toi.
    Nicefrany

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    • Ooooooh qu’il est gentil ce commentaire ! merci ! Je vais mettre en pratique tes conseils.
      Faut que j’explore la piste du prétexte valable pour qu’on change mon EDT, mais j’avoue que je suis un peu perdue, là… que trouver ?

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      • ben voyons des parents vieillissants , un petit copain imaginaire mais qui bosse bcp et ne peut pas venir en Picardie, une implication dans une asso…En tout cas, fais vite il reste peu de temps pour faire changer ton EDT et ce n’est pas parce que tu es néo tit’ que tu n’es pas sensée être traîtée comme un être humain avec un EDT correct.
        Bises

  5. Du courage, je connais la solitude de la salle des profs lorsque personne ne vous parle, ou lorsqu’il y a un anniversaire tout le monde à droit à du gateau sauf toi qui n’est pas invité à la table mais reste sur le canapé comme une c…..C’était dans un lycée dans lequel je travaillais une fois par semaine et EN PLUS pour un GRETA et EN PLUS je suis pas prof (comme me l’a gentiment fait remarquer un PROF « au GRETA c’est des formateurs ») et EN PLUS (cumularde!) pas de CAPES….Je dois dire qu’il y avait deux prof anglaises et ce sont les seules a me parler et à partager les gateaux délicieux qu’elle faisaient.
    Courage! J’ai de l’admiration pour vous et vos collegues, moi je dois avouer ma desertion de l’enseignement.

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    • Quelle horreur ! Je n’en suis pas à ce stade-là, fort heureusement. Je ne vis pas dans un monde de Bisounours et je n’idéalise pas tout, mais je pense que tu iras dans mon sens : quand on bosse avec des ados, qu’on essaye de leur transmettre des valeurs du type tolérance et ouverture d’esprit, une attitude pareille avec ses semblables est inadmissible et complètement crétine.

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      • Tout à fait d’accord avec toi, on ne peut pas attendre de nos élèves des attitudes de respect, tolérance, écoute et ouverture d’esprit si on ne le fait pas sois meme. Heureusement il y a des profs comme toi 🙂

      • Je ne suis pas un modèle, mais je trouve que c’est pas compliqué de faire un effort, ne serait-ce que par empathie. Parce que tu vois, perso, si je voyais une collègue toute seule dans son coin pendant que tout le monde fait la fête, je me mettrais à sa place et j’irais discuter. Et encore plus maintenant. Ca s’appelle faire l’être humain et sociable, et c’est vraiment pas compliqué. Cette compétence a été décuplée par mon année de stage dans un super-collège, où le moindre collègue de passage, qu’il ait le CAPES ou pas, est intégré dans l’équipe.
        J’ai même découvert – après discussion avec une collègue super sympa – qu’un des clans avait besoin d’au moins une tête de turc tous les ans. C’est pas de la gaminerie-mesquinerie-connerie à l’état pur, ça ?

        Tu as quitté l’enseignement pour un milieu professionnel plus amical, j’espère ? 🙂

  6. Et bien…j’ai pris la décision de réactiver un vieux reve: devenir bibliothecaire. Je suis actuellement en stage de découverte et je fais des formations; je suis peut etre naive mais pour moi lorsque l’on travaille avec les livres on est quelqu’un de bon dans le fond. C’est mon pays des Bisounours à moi 🙂

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  7. 🙂 merci! j’aime beaucoup ton blog et ton écriture 🙂

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