Archives de Catégorie: IUFM, ultime objet de mon ressentiment

L’IUFM, cet endroit porteur d’espoir pour les jeunes professeurs en attente du Graal éducatif. Qu’ils sont naïfs…

La Visite, Part One

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Certaines légendes du stagiaire sont terrifiantes et obsédantes. Une terreur tenace, qui naît dans vos intestins et vous parcourt tout le corps sans fin. Régulièrement, la nuit, le ou la stagiaire se réveille en sursaut et trempé(e) de sueur, tremblant(e), peinant à s’auto-rassurer pour glaner les quelques heures de sommeil qui lui sont indispensables à son bon fonctionnement.

La visite formative IUFM fait partie de ces légendes qui paralysent l’être humain fragile qu’est le professeur débutant. Elle est dure à entendre, et inénarrable. Comme on est mardi soir, et qu’une bonne partie de mes cours est prête grâce à la surexcitation des élèves en cette presque veille de Noël (interruptions en permanence, menaces et interros surprises), et qu’en plus je suis de bonne humeur, je vais quand même tenter de m’y coller.

Normalement et dans le meilleur des mondes, chaque stagiaire doit passer dans les premiers mois de sa carrière par la « visite formative », effectuée par un formateur ou une formatrice IUFM. Le but : rassurer le jeune poulain en passe de devenir un étalon de la didactique, et lui prodiguer les meilleurs conseils, pour qu’à court terme il réussisse l’inspection qui lui vaudra titularisation, et qu’à long terme il déchire grave sa race professoralement parlant.

Voilà pour la théorie. En pratique, et vu que nous sommes semés aux 4 coins de l’académie, malgré toute la bonne volonté du monde, tout le monde ne peut pas se faire « visiter ». Ce qui, pour ceux qui n’ont pas de tuteur dans leur établissement, galèrent comme des âmes en peine avec des élèves rétifs, et ne se plaisent pas forcément dans leur établissement, est un peu gênant.

En théorie le formateur ou la formatrice est un être bienveillant, qui baigne dans une aura d’expérience et fourmille de conseils tous plus ingénieux les uns que les autres. Sa visite sera l’oasis dans le désert du stagiaire, l’occasion pour lui de s’abreuver de connaissances et de magnifier sa pratique de l’art de l’enseignement. Je sais, vous êtes émus par tant de bienfaits sur terre, mais ne pleurez pas.

En pratique, ils ne sont pas tous amis avec les Bisounours. Loin s’en faut. Les couloirs de l’IUFM sont parcourus de légendes chuchotées sur des visites formatives qui ont viré à un règlement de comptes en règle pour le malheureux stagiaire, qui a par la suite renoncé à l’enseignement et jette d’un geste saccadé et désespéré des grains bios à ses poules dans la Creuse, tout en ressassant ses souvenirs de son autre vie.

« Moi j’ai une copine, la formatrice lui a balancé cash « Mais vous avez un charisme de moule, qu’est-ce que vous faites là ? Changez  de carrière, et vite! »

 » J’ai pas été titularisée à cause de l’autre grognasse de V. Et franchement, « grognasse », je suis sympa. Je me suis pris dans la tronche pendant 3 quarts d’heure que même un canari saurait faire preuve de plus de pédagogie que moi. »

 » Le formateur m’a demandé si j’avais eu mon CAPES « dans la légalité la plus transparente et sans faire jouer mes relations, « voire pire ». Quel connard, ce mec. »

« Ah ben perso elle se promenait dans les rangs pour se taper la discut’ avec mes élèves. Elle s’est pas privée pour leur dire que j’étais stagiaire. C’était en novembre, j’ai jamais pu récupérer les gamins, ils m’ont pourri toute l’année. »

Et le CECRL ? La  Prise de Parole en Continu Le niveau A2 ? Le plan de séquence ?

Formatrice en action : Et le CECRL ? La Prise de Parole en Continu ? Le niveau A2 ? Le plan de séquence ?

Inutile de dire que je vivais dans l’espoir qu’aucun formateur ne se déplacerait dans mon trou perdu. O, douce naïveté enfantine, reste en moi telle la dent de lait qui persiste et signe, invaincue. C’était sans compter sur la ténacité du formateur qui survit  et s’épanouit en milieu hostile. 2 semaines avant le jour de mon exécution, la nouvelle tomba : une certaine Mme G. viendrait me « visiter » avec les 4eC.

Ze big boss, alias la Principale, qui avait relayé le mail, se précipita vers moi en salle des profs :

« Vous avez bien reçu le mail ? Vous vous sentez prête ? »

« Moui, bon, c’est dans 2 semaines. Je sais déjà pas de quoi mon cours de demain sera fait… »

« Otez moi d’un doute… Les 4eC, c’est la classe de Mike, non ? »

« Voilà. »

« Ah. On pourrait peut-être s’arranger avec les surveillants, alors. »

« S’arranger » : procédure qui consiste à retirer d’une façon froide et chirurgicale les élèves qui pourraient poser problème pendant une inspection, mettant en danger le sang-froid de l’enseignant, déjà mis à rude épreuve.

Le CPE renchérit : « Mais oui, je vais le prendre, moi ! T’inquiète ! »

Je me retiens de lui sauter dessus. Jeune, inconsciente, insomniaque, surmenée, mais pas nympho.

« Oooh merci ça serait trop génial ! »

« Mais c’est tout naturel ! »

Dans ce collège d’exception où la moindre cerne est passée en revue par l’équipe éducative, il n’en fallait pas plus pour que mes collègues débarquent

« Moi je te prends Matthias pour éviter qu’il te pose des questions crétines. »

« Moi je m’occupe de Stephy et sa copine Emma. Histoire d’éviter que ces 2 greluches ricanent pendant ta séance. »

« Je te prends Enzo. Le connaissant, il va en profiter pour foutre le bordel. »

« Compte sur moi pour Bryan. Je lui ferai ranger l’armoire du fond, tiens. Ca me vengera de toute les heures qu’il a passées à me balancer des bouts de gomme sur la tronche. »

La difficulté d’expliquer à mes collègues que je ne pouvais pas faire illusion avec les 10 meilleurs élèves de la 4eC n’était pas des moindres. Mais ils se sont rangés à mon avis, admettant que déjà, sans Mike qui prendrait son sac pour un ovni ou essaierait de creuser un tunnel dans le lino, c’était déjà bien.

La salle de cours de Madame T. un jour d’inspection


L’entrée de Bruno (collègue de physique chimie)  a fini de me convaincre que mes collègues étaient des gens exceptionnels :

« Bon alors pendant la récré, tu la ramènes en salle des profs, et je balance un truc en anglais hyper sophistiqué. Après je lui explique que tu me donnes des cours d’anglais à chaque récré. J’enchaîne sur « Au fait, tu vas encore voir les enfants à l’hôpital ce week end ? Et je te fais un chèque pour ton projet d’aller soigner les lépreux en Inde cet été ? Et franchement, ça passera sans problème. On a 2 semaines pour répéter. »

2 semaines pour être crédibles, tu veux dire !